paru dans Notre Église n°125, journal du diocèse de Bayonne
Le mot Chasteté ne plaît guère. On lui associe, à tort, la continence pour tous ou encore une morale étriquée, faite de seuls préceptes négatifs. Pourtant, toute personne aspire à l’harmonie entre son corps, son esprit, sa sexualité et son affectivité. Par Gabrielle Vialla
Dès la jeunesse, chacun peut percevoir en lui-même des dissonances, des difficultés à se donner, à ne pas accaparer l’autre pour soi. Puis, les histoires personnelles accumulent souvent les déceptions et les désillusions, des lassitudes et des regrets.
Saint Augustin, avec sa profonde connaissance de la nature humaine, nous enseigne que la chasteté est en réalité ce qui nous recompose : elle nous ramène, écrit-il, à cette unité que nous avions perdue en nous éparpillant. Ce regard positif renverse la perspective. La chasteté d’abord perçue comme contraignante devient le seul moyen d’accéder à la liberté. Marqués par le péché originel, l’homme et la femme gardent en eux un profond désir de vérité sur eux-mêmes. Dès la première expérience du péché, dans le livre de la Genèse, Dieu les protège d’eux-mêmes, par le don extérieur du vêtement, et celui, intérieur, de la pudeur. Mais la pudeur, notre époque n’en veut pas davantage. Elle refuse de respecter ce corps fini et d’espérer le plein accomplissement de la Rédemption, dans la gloire du Ciel1 .
La chasteté exclut de chosifier autrui, de mettre la main sur lui. Il me semble aussi que le concept de chasteté se dérobe toujours un peu à l’intelligence. Car la chasteté, avant de se comprendre intégralement, se contemple dans la personne du Christ. On ne la possède pas entièrement car elle touche au corps, à la sexualité, aux désirs, aux méandres de l’inconscient, à notre finitude…
LA FINALITÉ DE LA CHASTETÉ EST LE DON TOTAL DE SOI PAR AMOUR.
Voilà comment saint Jean-Paul II, par une formule elliptique et pédagogique peut nous dire que « la chasteté c’est vivre selon l’ordre du cœur. » Il nous prévient, par la même occasion, d’une terrible erreur qui serait de rechercher la chasteté pour elle-même, comme une maîtrise orgueilleuse de soi, un exercice psycho-corporel, qui ne tiendrait pas compte du cœur, afin de ne dépendre de personne en quelque sorte. Ce serait un simulacre, une inversion, car la chasteté n’est pas l’autonomie vis-à-vis de Dieu et de sa volonté sur nous.
LA CULTURE ACTUELLE PRÉSENTE LA VIE HUMAINE COMME UN MATÉRIAU NÉCESSITANT UN STRICT CONTRÔLE DÈS SA CONCEPTION.
Il s’agit de s’en prémunir par la contraception, voire l’avortement, ou bien, au contraire, de la faire advenir par la procréation artificielle, sans le respect de l’union des époux dans sa signification indissociablement unitive et procréative. La crise de la covid 19 nous démontre, si c’était nécessaire, combien l’hygiénisme, le déterminisme ont envahi nos existences occidentales. Un certain déni des besoins de l’âme et de l’esprit, jusqu’à la possibilité d’une dictature sanitaire qui ne protège que la vie nue, n’est plus de l’ordre du fantasme. Les projets de loi actuels autour de l’euthanasie rappellent enfin à tout observateur à quel point la vie est comprise par les pouvoirs publics dans son expression la plus étroite.
Une culture où la chasteté n’a plus de sens, où le corps est sa propre finalité, devient une société monstrueuse pour les plus vulnérables. Voilà pourquoi Jean-Paul II l’a si bien définie comme une « culture de mort ». Pendant une génération, on a malencontreusement répété que la défense de la vie de la conception à la mort naturelle relevait de la seule morale naturelle, que la foi devait être annoncée dans un silence abusivement qualifié de prudent sur les questions dites sociétales. On a ensuite voulu défendre le mariage entre un homme et une femme sans parler du sens chrétien de la sexualité humaine et de ses finalités.
Aujourd’hui, M. Houellebecq observateur cruel peut ainsi annoncer, à propos de l’euthanasie : « Les catholiques résisteront de leur mieux, mais, c’est triste à dire, on s’est plus ou moins habitués à ce que les catholiques perdent à chaque fois. » Aucun de ces sujets n’échappe pourtant à la chasteté. Que l’écrivain souvent scabreux ne l’ait pas vu, passe encore, mais que le peuple de Dieu et ses pasteurs continuent à l’ignorer, voilà la vraie détresse spirituelle, éducative et culturelle.
LA VALEUR SACRÉE DE LA VIE HUMAINE
La culture de vie ne peut que reconnaître, faire aimer le corps et la sexualité dans leurs limites voulues par Dieu pour notre bien. Nos grands désirs de don de nous-mêmes par nos corps se heurtent à nos médiocrités intérieures, à nos petits intérêts calculateurs. Seule l’adorable chasteté de Jésus peut nous rendre l’espérance. L’offrande de nous-même encore emmêlée dans l’opacité du monde actuel, c’est Lui qui la présente au Père. Sa mort et sa résurrection ont déjà vaincu la mort. Notre victoire est déjà là. Voilée mais là, par la foi… n’en déplaise à Houellebecq.
La profonde crise anthropologique que nous vivons devrait inciter à faire de l’éducation à la chasteté une priorité au sein de nos familles et un vrai sujet de pastorale. Dans une société qui promeut autant la culture de mort, nous avons besoin de petites oasis, de lieux où les personnes désirent vivre la chasteté, parce que la chasteté, à laquelle tout cœur aspire, dans le fond, est en réalité contagieuse.
1- La définition la plus complète de la Chasteté est celle du Catéchisme de l’Église catholique : « La chasteté signifie l’intégration réussie de la sexualité dans la personne et par là l’unité intérieure de l’homme dans son être corporel et spirituel. »