50 ans après Humanae Vitae, on constate que la contraception s’est très largement répandue, au point d’apparaître incontournable aux yeux de la plupart de nos contemporains. Une situation pastorale se présente alors, comme une possibilité redoutable : qu’au sein d’un couple interlocuteur l’un des deux conjoints ait le désir de mettre en place et de vivre la régulation naturelle des naissances (RNN) mais que l’autre rejette cette proposition. Ne nous leurrons pas : ne pas accepter de rencontrer et d’accompagner une situation aussi délicate et pourtant fréquente, dénoterait une grande frilosité dans l’annonce de la vérité et de la beauté de la RNN… aussi bien pour les pasteurs que pour les foyers qui connaissent l’enseignement d’Humanae Vitae.
Situation hautement délicate au sujet de laquelle nous souhaitons offrir ici quelques réflexions pratiques et pastorales, en vue d’une meilleure collaboration entre prêtres et foyers moniteurs. Le but de ce document est d’aider les jeunes foyers moniteurs dans cet accompagnement, et de partager notre expérience avec les pasteurs.
Le cas le plus fréquent qui se présente aux foyers moniteurs est celui de la demande croissante d’épouses qui désirent vivre la RNN, alors que leur conjoint s’y oppose à divers degrés : de l’indifférence, l’agacement jusqu’à la franche hostilité.
Le fait
Il convient d’abord de distinguer des situations très différentes, pour un accompagnement plus approprié. Prenons ici deux exemples fréquents, et un peu caricaturaux :
– Un couple s’efforce d’observer la régulation naturelle des naissances, mais l’homme (crise de milieu de vie par exemple) se déclare fatigué de vivre les exigences de la RNN, parce que la continence lui pèse ou parce que le stress d’une nouvelle conception lui semble trop important. Il exerce alors une pression nouvelle sur son épouse. Le contexte plus large de ce refus mérite d’être pris en compte : une naissance précédente mal acceptée, des difficultés personnelles ou professionnelles, des problèmes de santé chez l’un des conjoints ou des membres de la famille, etc.
– L’autre situation, sur laquelle nous nous pencherons davantage dans la suite de ce document, est la conversion de l’épouse, notamment par la découverte de l’enseignement de l’Église sur la sexualité, avec la possibilité de la RNN, alors que jusqu’à présent la « norme » du couple était la contraception hormonale. Suite à cette découverte, l’épouse désire mettre en place la RNN, mais le mari s’y refuse. Ce refus peut être immédiat et péremptoire ou la conséquence d’un essai de mise en place par l’épouse seule, au cours duquel un enfant a été conçu. L’homme en déduit alors que « ça ne marche pas », sans qu’il n’ait jamais été vraiment impliqué.
Précisons avec soin qu’il existe autant de circonstances et de difficultés que de personnes rencontrées… Les raisons d’espérer (souvent imprévisibles) ne peuvent pas non plus être schématisées trop rapidement.
Nous n’oublions pas non plus le cas inverse où c’est l’homme qui désire observer la RNN et l’épouse qui refuse. Situation devant laquelle le foyer moniteur se trouve apparemment plus démuni, mais qui existe et qui, malgré la pauvreté plus grande des moyens à proposer, doit être accueillie avec compréhension et délicatesse.
Le rôle du foyer-moniteur
Comme la charte du Centre Billings France l’indique, nous voulons accorder, avec la plus rapide disponibilité possible, écoute, bienveillance, compréhension. Dans tous les cas, nous proposons d’abord de recevoir les deux conjoints ensemble pour un temps de partage qui permet à chacun de s’exprimer sans crainte de se voir jugé. Puis, dans un deuxième temps, nous nous efforçons de présenter les fondements physiologiques de la méthode ainsi que les différentes règles de prudence à observer, en n’hésitant pas à donner notre propre témoignage, pour que le couple se rende compte au mieux de la façon dont la méthode peut être vécue, et de ce qu’elle peut lui apporter. Nous prenons le temps, alors, de répondre aux questions soulevées par cette présentation de la méthode.
Tous les moniteurs expérimentés peuvent témoigner que cette première soirée, portée en amont dans la prière, et menée avec bienveillance et doigté, peut suffire à susciter une démarche positive chez un conjoint initialement récalcitrant.
Mais ce n’est pas magique non plus. Un homme arrivé avec des pieds de plomb peut malheureusement repartir encore plus en colère.
Il n’est pas toujours possible d’entrer en relation avec le conjoint. Dans ce cas, il s’agit de recevoir l’épouse autant de fois que cela s’avère nécessaire, sans se décourager, et renouveler la proposition de recevoir aussi le mari en assurant qu’il sera bien reçu, qu’il n’aura pas à parler s’il ne le désire pas, mais que le foyer moniteur lui donnera simplement son témoignage afin de lui montrer comment il est possible de vivre la chasteté conjugale.
Il est certes bon d’insister sur le mode d’emploi physiologique mais également sur le vécu concret, sur la réelle possibilité d’une harmonie conjugale – qui ne la désire pas ? – sur les bienfaits secondaires d’une continence authentique (voir Confidences Billings à un frère prêtre).
Le rôle fondamental de la monitrice vis-à-vis de l’épouse
Le second exemple décrit plus haut, où l’épouse essaye « seule » de mettre en place la RNN, représente un vrai défi pour la monitrice et pour l’épouse. C’est ici surtout que doivent régner disponibilité, compréhension, amitié, prière, attitude rassurante et dédramatisante. Car il s’agit d’essayer de mettre en place, dans un contexte conjugal tendu ou difficile, l’observation du cycle et la connaissance de la fécondité, c’est-à-dire concrètement, de pouvoir obtenir un tableau lisible, et, au-delà, une connaissance de soi de la part de l’épouse en demande, au moyen de l’observation intime d’elle-même.
Ne soyons pas naïfs (et les prêtres confesseurs ont aussi à le savoir !) : c’est particulièrement difficile à mettre en place, à cause du stress notamment et de la situation hormonale de l’épouse.
– Parce que, la plupart du temps, cet apprentissage fait suite à une longue expérience de la contraception hormonale, et que le corps va mettre du temps à s’en débarrasser.
– Parce que, la plupart du temps, la femme n’a jamais été attentive à sa féminité.
– Et surtout parce que, là où elle serait en droit d’attendre encouragements et patience de la part de son conjoint, l’épouse subit au contraire une pression sur ce sujet tabou. Or le stress (en particulier conjugal) a des répercussions sur l’état hormonal. Il se focalise sur deux points particuliers : la recherche inquiète des périodes agénésiques et la peur de se tromper.
– Enfin, (et ce n’est pas rien) il y a un lien entre fécondité et libido… C’est donc au moment même où l’épouse sera le plus spontanément portée vers son époux qu’elle devra avoir une attitude plus réservée.
Bref, la tâche est belle, certes, mais elle est aussi ardue, et elle ne pourra s’accomplir sans de nombreuses difficultés : découragement, lassitude, dévalorisation en soi de la féminité, ressentiment envers le conjoint absent, endurcissement face à lui, retour des anciennes tentations (qui ne sont peut-être pas si lointaines) et sollicitations nouvelles – masturbation, regards adultères, attitudes séductrices… Toutes ces difficultés qu’il est si important de pouvoir aussi confier au Seigneur, à travers la confession et/ou l’accompagnement spirituel. Le rôle de la monitrice est aussi de suggérer avec délicatesse la possibilité d’une telle démarche spirituelle.
Retenons que le plus important est sans doute de mettre en garde l’épouse contre le ressentiment et l’endurcissement à l’égard de son conjoint, car en réalité elle a surtout besoin de lui.
Que dit l’Église ?
Le Vade-mecum des confesseurs rappelle d’abord que « l’Église a toujours enseigné la malice intrinsèque de la contraception, c’est-à-dire de chacun des actes conjugaux rendus intentionnellement inféconds. Cet enseignement doit être considéré comme doctrine définitive et irréformable. La contraception s’oppose de manière grave à la chasteté matrimoniale, elle est contraire au bien de la transmission de la vie (aspect de procréation du mariage), et contraire au don réciproque des conjoints (aspect d’union du mariage). Elle blesse l’amour véritable et nie le rôle souverain de Dieu dans la transmission de la vie humaine. » (Vade-mecum des confesseurs, n°4)
Mais le même document reconnaît que « les cas de coopération au péché du conjoint, qui volontairement rend infécond l’acte unitif, présentent des difficultés spéciales. » (Vade-mecum des confesseurs, n°13)
Le péché du conjoint consiste ici dans l’usage, par le mari, d’une contraception « masculine ».
Le Vade-mecum prévoit alors, à certaines conditions, la licéité d’une telle coopération. Il faut en effet que :
1)- « L’action du conjoint coopérant ne soit pas déjà en elle-même illicite », c’est-à-dire que l’épouse, ici n’achète pas les contraceptifs, ni qu’elle ne les pose, ni bien sûr qu’elle s’en fasse prescrire.
Ici on trouve une application du principe mentionné dans HV 14 : « En vérité, s’il est parfois licite de tolérer un moindre mal moral afin d’éviter un mal plus grand ou de promouvoir un bien plus grand il n’est pas permis, même pour de très graves raisons, de faire le mal afin qu’il en résulte un bien. »
2)- « Il existe des motifs proportionnellement graves pour coopérer au péché du conjoint. » Le document ne précise pas la nature de ces motifs parce qu’ils sont nombreux et variés, propres à chaque couple mais on pense aux risques de ruptures au sein du couple à plus ou moins brève échéance, d’adultère, de dommages graves à l’éducation des enfants…
3)- « On cherche à aider le conjoint à abandonner un tel comportement (avec patience, par la prière, dans la charité, par le dialogue : mais pas nécessairement à ce moment, ni à chaque occasion). » (Ibid.)
Résumons les 3 conditions :
– il faut faire une distinction entre « poser personnellement un acte » contraceptif, ce qui est à exclure définitivement, et « tolérer » un acte posé par le conjoint.
– cette tolérance a pour but soit d’éviter un mal plus grand soit de préserver un bien plus grand (la vie commune par exemple). Tant que les efforts en vue de faire accepter la RNN, sont encore infructueux.
– enfin que l’intention soit la conversion personnelle et celle du conjoint
Le rôle du confesseur ou du père spirituel
C’est bien ici que l’on attend de lui un cœur aimant selon le Cœur du Christ Rédempteur. Saint Paul VI lui demande deux choses :
– Exposer sans ambiguïté l’enseignement de l’Église sur le mariage. (HV n°28)
– Faire preuve de la patience et de la bonté, dont le Seigneur lui-même a donné l’exemple en traitant avec les hommes. (HV n°29)
Concrètement, voici ce qui peut, de la part du prêtre, aider avantageusement les foyers :
– Faciliter le recours au sacrement de la miséricorde, par la confession.
– Dédramatiser les chutes : chaque confession, notamment, n’induit pas l’obligation de tout redire au sujet d’une telle situation. Quand le confesseur a pu s’assurer que l’épouse est accompagnée spirituellement et sincèrement désireuse de progresser et de faire progresser son mari, une parole d’encouragement est bien souvent le meilleur des conseils.
– Encourager pour un mieux : la mise en place de la RNN qui est doit être présenté comme atteignable mais qui demande concrètement du temps, de la persévérance (sauf grâce de conversion exceptionnelle et radicale), et beaucoup de délicatesse.
Nous savons tous que se détourner du mal et faire le bien est une œuvre de longue haleine, et ceci d’autant plus que des mauvaises habitudes ont pu être prises. Le travail spirituel consistera d’abord à s’en défaire avec patience et humilité.
Et voici maintenant ce qui n’aide pas les foyers :
– L’attitude laxiste est la plus courante. Elle est imprégnée de relativisme. Elle consiste par exemple à affirmer sur ce sujet que l’important c’est que les deux conjoints soient d’accord, que les méthodes naturelles sont bonnes mais qu’elles ne sont pas la seule option possible. L’attitude laxiste efface le caractère intrinsèquement désordonné de la contraception, et stérilise l’appel à la sainteté conjugale qui inclut la maturité en matière de sexualité.
– L’attitude rigoriste est légaliste. Elle redoute tellement l’attitude précédente qu’elle cherche à se rassurer dans le rappel intransigeant de la loi morale. Elle tend à ignorer les difficultés concrètes, profondes, de l’épouse, en valorisant de façon implacable une position intellectuelle univoque. Elle ne se préoccupe pas de la mise en place de moyens viables et concrets, ni du vrai bien de la personne et de sa famille. Elle cherche surtout à être dans son bon droit. Elle peut ainsi délibérément taire cette possibilité donnée par le Vade-mecum de la licéité à la coopération au péché du conjoint. L’attitude rigoriste est décourageante et dangereuse pour la vie spirituelle du couple.
Il est indéniable, que ces deux attitudes extrêmes se nourrissent l’une l’autre. Dans les deux cas, on oublie le réalisme d’une croissance humaine et spirituelle qui nécessite de moyens humains et spirituels adaptés, en vue d’un bien désiré, atteignable seulement (sauf grâce exceptionnelle) par les nombreux et longs efforts de la vertu et par le recours régulier à la miséricorde du Seigneur.
L’attitude équilibrée reconnaît donc que la vertu ne s’acquiert pas en un jour, que les conjoints ont besoin de temps et d’encouragements dans l’acquisition d’un progrès moral et spirituel, qu’ils ont besoin pour cela de la confession et de l’absolution. Elle tient fermement les exigences de la morale conjugale tout en sachant valoriser le progrès même encore imparfait, comme le fait d’avoir pu parler au conjoint, le fait de se former, le fait de prier lui. Et surtout, elle cherche à nourrir toujours dans le cœur de l’épouse la bienveillance à l’égard de son mari.
L’attitude équilibrée consiste en un réel pragmatisme, à la fois patient et exigeant, sachant fixer des objectifs positifs et progressifs, mesurables et atteignables, par exemple : décider d’arrêter tout usage contraceptif pour soi-même ; prendre la résolution d’expliquer sans agressivité ni chantage ce que l’épouse désire faire vivre à son conjoint ; décider de prendre rendez-vous chez un foyer moniteur ; proposer ce rendez-vous au conjoint ; s’il refuse, prendre la résolution d’y aller seule ; renouveler les rendez-vous, etc.
L’attitude équilibrée reconnaît que s’il y a un acte conjugal, il y a deux consciences… Si on annonce la bonne nouvelle à un foyer sous contraception, il est fort probable que l’un des deux conjoints se montrera plus rapide que l’autre pour l’accueillir et y adhérer. Il est fort probable aussi que l’attitude du plus rapide aura des répercussions sur l’adhésion du conjoint plus lent, ou au contraire sur son endurcissement dans le refus.
L’attitude équilibrée sait bien que c’est la charité qui perfectionne la loi. Elle sait voir dans ces situations souvent tragiques, des occasions extraordinaires de sainteté cachée…tout en se gardant de les canoniser trop vite.
Entre le prêtre et l’épouse, sachons reconnaître aussi les dangers courants de ce type de situation :
– Du côté de l’épouse, une idéalisation du confesseur, qui est perçu comme un homme chaste (lui), prévenant et à l’écoute… avec le risque d’une comparaison désavantageuse pour le mari, et d’une cristallisation sur les défauts opposés du conjoint. La possibilité, également, que la facilité d’un dialogue avec le prêtre, comme l’habitude de se livrer à lui au sujet des autres difficultés de la vie, aboutissent à une sorte de transfert de confiance en faveur du confesseur et une mise à l’écart de l’époux (qui demeure souvent le moins dupe des trois…
– Du côté du confesseur une idéalisation aussi du courage de la femme, avec le danger de finir très vite par noircir l’époux qui n’est pas connu, et le plus souvent négligé ou jamais entendu. Mentionnons aussi le danger réel d’abus de pouvoir du confesseur sur une âme dont l’attente est généreuse, mais qui se trouve en situation de détresse et qui cherche de l’aide. Ce danger peut être vraiment redoutable s’il n’est pas perçu par le confesseur. Le prêtre doit particulièrement veiller à la garde de son propre cœur, en veillant à la pudeur, en préservant une distance nécessaire d’abord pour lui-même.
Il s’agit de veiller à ne pas éteindre la sensibilité de l’épouse à, l’égard de son mari, mais au contraire de savoir valoriser ce que l’époux a de positif, ce qu’il dit de vrai, ce qu’il fait de bien.
Savons-nous ce qu’est un don gratuit ? Nous ne le savons qu’imparfaitement en réalité ! Il n’y a que l’amour de Dieu qui soit totalement gratuit. Quand nous posons gratuitement un acte, une pensée pour notre conjoint, c’est comme une coopération à l’amour de Dieu pour lui. Dans cette situation particulière de divergence entre conjoints, le conjoint « qui prie et patiente », expérimente aussi les limites et les résistances de son amour gratuit… là où une tentation terrible serait de ne voir que les limites du don de soi du conjoint « plus lent à comprendre ».
« Vous donc, les élus de Dieu, ses saints et ses bien-aimés, revêtez des sentiments de tendre compassion, de bienveillance, d’humilité, de douceur, de patience ; supportez-vous les uns les autres et pardonnez-vous mutuellement, si l’un a contre l’autre quelque sujet de plainte ; le Seigneur vous a pardonné, faites de même à votre tour. Et puis, par-dessus tout, la charité, en laquelle se noue la perfection. Avec cela, que la paix du Christ règne dans vos cœurs : tel est bien le terme de l’appel qui vous a rassemblés en un même Corps. Enfin vivez dans l’action de grâces ! » (Colossiens, 3, 12-15)
Gabrielle Vialla