par Gabrielle vialla. Paru dans la revue Carmel n°180
La chasteté, aujourd’hui largement ignorée ou vilipendée, est pourtant la vertu morale qui unifie en nous la vie spirituelle à la réalité corporelle et sexuée. Telle la sève de l’arbre, la chasteté permet à notre être de grandir et de s’enraciner en Dieu.
« Dès le commencement, le Créateur les fit homme et femme, et dit : « À cause de cela, l’homme quittera son père et sa mère, il s’attachera à sa femme, et tous deux deviendront une seule chair. » Ainsi, ils ne sont plus deux, mais une seule chair. Donc, ce que Dieu a uni, que l’homme ne le sépare pas ! » (Mt 19,4-6)
Dans l’évangile, Notre Seigneur rappelle à chaque génération qu’il y a, dès la Création (Gn 1,27 et Gn 2,24), une promesse magnifique de Dieu pour le mariage. À l’homme et à la femme, appelés à ne faire qu’un, Dieu donne d’être féconds comme Lui-même est fécond : « Portez du fruit, multipliez-vous » (Gn 1,28). Le couple humain est ainsi assimilé à un arbre appelé à porter du fruit en abondance. Certes, le péché tend à limiter la portée de ces paroles divines, mais pour celui qui les accueille avec foi, la promesse de Dieu reste vivante. Pour le couple, ces paroles se réalisent en plénitude grâce à la vertu de la chasteté qui est comme la sève de l’arbre qu’il forme. Après avoir rappelé l’enseignement du Catéchisme de l’Église Catholique sur la chasteté, nous verrons comment cette vertu s’éclaire à la lumière du plan de Dieu sur l’homme et la femme. Nous comprendrons alors que la chasteté, comme signe du corps commun des époux, est le remède à la « culture de mort » de notre société. Seule la chasteté, en effet, permet au couple d’être unifié. Elle doit donc être enseignée pour que chacun puisse l’accueillir comme un don de Dieu. La chasteté, enfin, est la vertu qui permet à la spiritualité conjugale d’être enracinée en Dieu. Elle peut alors devenir féconde de la fécondité même du Christ, la vigne sur laquelle nous sommes greffés.
Qu’est-ce que la chasteté ?
Le Catéchisme nous dit que celle-ci signifie « l’intégration réussie de la sexualité dans la personne et par là l’unité intérieure de l’homme dans son être corporel et spirituel ». Le lecteur attentif à ce numéro 2337 peut s’étonner de la suite de la définition. La phrase suivante explique, en effet, comment la sexualité devient humaine. « La sexualité, en laquelle s’exprime l’appartenance de l’homme au monde corporel et biologique, devient personnelle et vraiment humaine lorsqu’elle est intégrée dans la relation de personne à personne, dans le don mutuel entier et temporellement illimité, de l’homme et de la femme. » On ne peut comprendre la nécessité de la chasteté que dans la mesure où la sexualité a une signification : le don mutuel de l’homme et de la femme. Une dernière phrase synthétise la définition en la résumant. « La vertu de chasteté comporte donc l’intégrité de la personne et l’intégralité du don. »
Le plus souvent lorsque l’on parle de la chasteté, on l’associe à la continence, voire aux vœux religieux. Il est pourtant essentiel de noter que dans le mariage seulement est vécu le don entier et temporellement illimité de l’homme et de la femme. En lui est signifiée la vérité du don total du Christ pour son Église, telle que nous l’enseigne saint Paul. Le chapitre 5 de l’épître de saint Paul aux Éphésiens rapporte en filigrane de façon splendide le lien entre notre réalité corporelle et l’amour-don : Vous, les hommes, aimez votre femme à l’exemple du Christ : il a aimé l’Église, il s’est livré lui-même pour elle. C’est de la même façon que les maris doivent aimer leur femme: comme leur propre corps. Celui qui aime sa femme s’aime soi-même.
L’union conjugale est le signe de cet amour fou du Christ pour chacun de nous – amour consenti depuis toute éternité dans la communion trinitaire. On a beaucoup dit, à raison, du mariage qu’il est le signe de l’Alliance nouvelle. A-t-on aussi reçu et transmis que le mariage est le signe de notre vocation à l’union à Dieu ? Il y a un appel pour chacun d’entre nous à vivre au sein de l’Amour divin, précisément celui dans lequel le Rédempteur nous introduit, au moyen de sa chasteté parfaite.
La chasteté : un mystère qui s’éclaire dans le plan de Dieu
La définition de la chasteté dans le Catéchisme nous plonge dans des abîmes de profondeur. Elle est difficile à saisir dans sa globalité. De même que la chasteté est un refus de mettre la main sur l’autre, de le chosifier, nous ne pouvons totalement approcher par l’intelligence ce qu’est la chasteté. Habituellement, on réfléchit à la chasteté à partir du célibat pour le Royaume, pour comprendre entre autres la nécessaire maîtrise de soi, l’ascèse, la modération, la continence ou de façon plus eschatologique notre destination vers un corps glorieux. Il faudrait plutôt commencer par contempler le plan du Dieu créateur sur l’homme et la femme et sa signification nouvelle dans l’amour du Christ pour son épouse Église et pour chacun de nous. Cela vaut en effet pour tous les états de vie. Nous avons à nous laisser pénétrer par le mystère insondable de l’Incarnation. Nous laisser toucher comme les contemporains du Christ, témoins du vécu de la sainte Famille : « N’est-il pas le fils du charpentier ? Sa mère ne s’appelle-t-elle pas Marie, et ses frères : Jacques, Joseph, Simon et Jude ? » (Mt 13,55). L’intégration réussie de la sexualité dans la personne en vue de l’intégralité du don, nous est manifestée à la perfection dans un être de chair en la seconde personne de la sainte Trinité: le Christ. Quant à la féminité, donnée en plénitude, nous l’admirons en Marie. La plénitude de la chasteté ne peut être véritablement comprise, mais nous la contemplons dans les personnes du Christ et de Marie, dans le mystère de l’Église. Grande est notre foi ! Combien devons-nous recevoir notre être corporel et sexué comme un don de Dieu !
La chasteté, avant d’être l’exercice d’une privation par amour de Dieu ou d’autrui, est d’abord un don gratuit de l’Esprit, qui s’incarne et s’exprime dans la matière et dans le corps. Dans le monde naturel, nous voyons qu’un arbre bien enraciné est capable de porter du fruit. On retrouve cette analogie avec la chasteté. La personne sexuée unifiée est capable de don authentique. Elle est féconde, sans le savoir, grâce à la sève de la chasteté. Parce qu’elle est d’abord respect de ce qui vient de Dieu, la chasteté nous dispose en retour à l’offrande de nos corps, pour la louange au Créateur, la gloire du Père céleste. Nous pouvons faire l’expérience spirituelle d’une circulation dans l’amour ; ce qui nous a été confié – nous-mêmes, dans notre corps – est appelé à un retour vers Dieu, à un don désintéressé de nous-même, rendu possible grâce au travail de l’Esprit Saint en nous.
Le signe du corps commun des époux
Tout au long de ses catéchèses et de ses autres enseignements, saint Jean-Paul II nous a exhortés au respect de ce qui vient de Dieu, dans la recherche de la vérité sur l’homme et la femme. L’admirable altérité de l’homme et de la femme, appelés à n’être « qu’un à partir de deux » doit être la source de notre réflexion. La raison humaine peut, dans une certaine mesure, chercher à comprendre le sens profond des unions conjugales qui signifient cette unité, et s’interroger sur la réalité d’un corps commun des époux qui demeure au-delà de l’altérité. La science médicale peut décrire les physiologies masculine et féminine, capables de donner la vie dans une complémentarité complexe et fine. La psychologie se penche sur ce vécu conjugal, la recherche d’harmonie et de communication. La philosophie, visant à la compréhension de l’altérité et de la communion, scrute la valeur des échanges entre le temps cosmique cyclique, vécu plus particulièrement dans le cycle féminin fini, et le temps plus linéaire masculin[1]. À l’image d’un arbre qui porte du fruit en son temps, la chasteté implique le respect du rythme de l’autre. La politique au sens noble, quant à elle, est appelée à défendre la famille, comme la cellule de base de la société que le couple humain fonde pour donner la vie, s’assister dans le bonheur et les épreuves. Toutes ces disciplines contribuent à nous faire connaître, juger et bien agir. Mais souvent, aujourd’hui, elles choisissent de se détourner du réel, pour préférer l’idéologie ; elles se mettent alors au service de la toute-puissance du désir individuel, du pouvoir, de l’argent. Chacune, aussi précieuse et nécessaire qu’elle soit dans son domaine, comporte les limites de ses propres paradigmes. Ces limites les régissent. Les tenants de ces disciplines sont en outre fortement tributaires de la société dans laquelle ils vivent. Chacun est confronté à une culture qui rejette le sens. Et même tout simplement le « bon sens ». Beaucoup préfèrent alors trop souvent le désir idolâtré, la simple réputation, le pouvoir.
La sève de la chasteté: un remède à la culture de mort
Une culture où la chasteté n’a plus de sens, où le corps dans son plaisir ou son bien-être est sa propre finalité, devient une société monstrueuse pour les plus vulnérables. Voilà pourquoi Jean-Paul II l’a si bien définie comme une « culture de mort ». Comprenons, à la suite de saint Augustin, que la chasteté guérit des conséquences des fautes passées. La chasteté console des épreuves de la finitude, de la solitude, de la disharmonie des relations interpersonnelles encore défaillantes. La culture hyper-érotisée – je préfère dire a‑érotique, car elle est privée de la pudeur qui permet à l’Éros d’être au service de l’amour – est dispersion, morcellement, atteinte à l’intériorité. Elle rend triste. Elle ne peut que récuser la chasteté, pourtant essentielle à notre condition humaine, essentielle à notre vie spirituelle. La chasteté conjugale est particulièrement visée. Et cela depuis longtemps. Facilitez le concubinage, faites la promotion de l’adultère, de la contraception et de l’avortement, vous obtiendrez quelques temps plus tard toutes les revendications sexuelles et sur l’enfant (PMA, GPA), le mariage des prêtres, l’incapacité à saisir le sens du célibat pour le Royaume.
Nous vivons ceci de paradoxal : la chasteté est attendue, exigée par le monde – elle est épiée, facilement mise au pilori – mais on dénie à l’autorité de l’Église le droit d’enseigner la chasteté. L’encyclique Humanae vitae est-elle enfin reçue, enseignée avec persévérance ?[2] Or, à mon avis, quand une autorité, parentale ou ecclésiale, ne parle plus de ce sujet éducatif fondamental, elle se met en danger elle-même. Certes, lorsque la famille est constituée, que les époux vieillissent ou sont fatigués, ils peuvent – et c’est bien naturel – être angoissés à la perspective d’accueillir un nouvel enfant. Ils sont bien souvent tentés de recourir à la contraception. Le « médicalement correct » n’aidant pas, ils y céderont surtout s’ils ne sont pas accompagnés par un foyer qui enseigne la régulation naturelle des naissances, et par un accompagnateur spirituel sensibilisé sur le sujet. Les victimes collatérales de ce type d’abandon sont les adolescents, les jeunes adultes de ces familles. Il est temps de mettre en valeur les répercussions sociales, éducatives et spirituelles des renoncements à la vérité en ce qui concerne la chasteté conjugale. Reprenons l’exemple donné précédemment de parents qui cèdent à la contraception, avec des raisons compréhensibles, comme celle d’avoir déjà une belle famille. Ces époux n’ont pas la pleine connaissance de la vérité interne de l’acte conjugal. Ils abandonnent ce trésor pour une dissociation de l’union et de la procréation, mais ils restent face à leur conscience. Les mauvaises solutions donnant une « bonne » conscience bancale, celle-ci n’est plus éclairée et lumineuse. Troublés, les pauvres parents se trouvent naturellement démunis, incapables d’avoir un discours exigeant et beau vis-à-vis de leurs enfants. Nombre d’entre eux, chrétiens, auront néanmoins à cœur de donner une éduca- tion sexuelle à leur progéniture ; il existe d’ailleurs de nombreux bons livres et de belles propositions. Seulement, le discours tenu dans la famille ne sera plus organiquement lié à la source conjugale. C’est dans cette chasteté personnelle et conjugale que le père et la mère, avec leur don propre, trouvent la force de surmonter par amour la pudeur naturelle afin d’exhorter au bien leur progéniture et de soutenir chacun de leurs enfants dans les difficultés, au milieu des contre-témoignages que ceux-ci ne manqueront pas de trouver autour d’eux.
La chasteté comme unification de l’être
Saint Augustin parle de la chasteté comme de l’unité que nous avons perdue en nous éparpillant[3]. Il indique ainsi un chemin personnel, relationnel pour découvrir et revenir à cette unité de notre être. Mesurons à quel point cette définition prend une dimension nouvelle pour la chasteté conjugale. L’exigence de l’amour unifié est comme élargie à ce respect du corps commun. L’appel en faveur de cette union, que l’homme ne peut rompre de son initiative, nécessite la conscience du regard de Dieu. Dans l’espace de cette bénédiction première, deux êtres, souvent rejoints par d’autres issus de ces deux, reçoivent une vocation et une responsabilité propres liées à la fondation de la famille, église domestique. Bien davantage, ils contribuent à révéler aux autres états de vie, et même à tout homme de bonne volonté, ce prophétisme du corps que saint Jean-Paul II a si bien décrit. Cette théologie du corps est avant tout une théologie de l’amour filial. Nous recevons de Dieu notre état corporel comme un instrument fidèle, un don à partir duquel nous apprenons à Le connaître et à L’aimer. Le péché, lui, nous dispose à mépriser la sexualité, à la considérer comme une honte, associée à terme à la déchéance de la souffrance et de la mort. La société hyper-érotisée méprise la beauté de la sexualité. L’enseignement de saint Augustin, pétri de sa connaissance de la nature humaine, renverse positivement la perspective de notre société en nous disant que la chasteté est en réalité ce qui nous recompose. La chasteté souvent perçue comme contraignante devient le seul moyen d’accéder à la liberté. Les époux chrétiens devraient tant méditer sur cela !
Une vertu à aimer et à enseigner
Aux époux chrétiens sont confiées trois chastetés : la chasteté personnelle, celle du conjoint – dont on est responsable dans une mesure limitée, par la prière et l’exemple[4] – et enfin la chasteté conjugale – celle du corps commun. À l’aube de la vie conjugale, le désir d’harmonie, d’union des cœurs, des esprits et des corps, est bien grand. Mais, malheureusement, la chasteté est peu comprise, annoncée et encore moins aimée. Pourtant, comme nous venons de le décrire, la chasteté est le premier moyen de croissance, de guérison dans cette vie à deux. Personne ne croit sérieusement, à moins d’une grande immaturité, que les couples restent sans difficultés ou incompréhensions ; mais avec la mentalité actuelle, même pour ceux qui ont une belle vie spirituelle, on omet très souvent la chasteté conjugale comme base de la spiritualité conjugale. Chacun est vite découragé par la réalité prosaïque d’avoir à confronter ses désirs, goûts, et choix à la volonté d’un autre être humain aussi imparfait et insatisfaisant. Trop souvent, les époux sont les témoins ou les acteurs de l’envahissement de la pornographie dans leur univers intérieur, de l’égoïsme endurci par leur mentalité malthusienne et contraceptive. Quelquefois, des addictions au virtuel, au sexe, à l’alcool ou à la drogue sont profondément ancrées. Le désir spirituel paraît si fragile et inconstant, quand il ne semble pas totalement absent ou indifférent. Les pasteurs et éducateurs s’interrogent : la chasteté peut-elle encore s’enseigner ? Quel regard pouvons-nous réellement poser sur le mariage, sa dignité ? Les époux chrétiens sont pourtant aussi appelés à la sainteté de leur baptême. Leur vocation n’est pas de seconde catégorie, et l’exercice de la sexualité en fait partie. Donnons-nous aux fiancés la possibilité de comprendre la très haute vocation à l’amour divin à laquelle ils sont appelés ? Comment concrètement cela peut-il se vivre ? Comment les époux peuvent-ils, à leur tour, suivre le Christ humble et pauvre de cœur ?
La chasteté : une conversion à vivre
Notre première conversion ne peut être que celle de notre regard. Jamais autant qu’aujourd’hui nous n’avons pu constater nos vulné- rabilités et celles d’autrui. Dans le fond, surtout, nous nous jugeons nous-mêmes incapables d’offrir à Dieu nos corps et tout ce que nous sommes[5]. Nous sommes ébranlés autour de nous par les échecs du mariage, de la vie sacerdotale ou consacrée. Nous préférons exclure la proposition de la chasteté aux personnes, par peur ou par fausse compassion en atténuant la beauté exigeante de l’Évangile. Comment ne pas admettre pourtant que pour toutes ces personnes la chasteté reste une urgence ? Celle-ci est un don qui jaillit de l’arbre de vie qu’est la Croix pour les malades et les pécheurs que nous sommes. La chasteté est la possibilité de la liberté face à toutes les aliénations intérieures et extérieures de la sexualité blessée. Cette liberté se vit en Dieu. Les premiers bénéficiaires de ce don sont, selon les mots de Jésus, les publicains et les pécheurs. Sur eux, sur tout pauvre qui L’invoque, Il pose un regard nouveau. Après avoir entendu l’aveu de nos blessures, nos erreurs passées, il redit à chacun : « Va, ne pèche plus ! » Et les plus durs à convaincre, c’est nous-mêmes, les bien-pensants de l’Écriture, les familiers du magistère. Nous savons confusément ceci : si nous laissons le Christ mettre sa lumière dans les ténèbres de nos complexités liées à notre sexualité, il risque de faire de nous des apôtres de la vie, et ce ne sera pas facile. Peut-être redoutons-nous ce qu’implique le désir de chasteté ? Si nous ne sommes pas tout jeunes, comme les plus vieux face à la femme adultère, nous savons bien que, dans le domaine de la sexualité, on garde des fragilités longtemps, que les blessures, les erreurs du passé s’inscrivent dans la mémoire de notre corps, de notre imagination, et qu’elles ne disparaissent que lentement. Alors notre vision pastorale ou éduca- tive quelque peu opportuniste négocie : Que peut-il y avoir à gagner avec ce sujet si pénible? La réponse est toute simple: choisissons alors de ne pas être notre propre maître, mais de Lui laisser Sa place en nous. Choisissons de nous replacer sans cesse sous le regard de Sa Miséricorde et de dépendre de Lui. Reconnaissons, comme le dit si bien la liturgie, que sans Lui notre vie tombe en ruine. Désirons enfin que, dans l’intime de leur cœur, ceux qui nous sont confiés découvrent cette même certitude. Aimons-les.
Une chasteté enracinée dans l’amour de Dieu
La spiritualité conjugale et la fécondité spirituelle à l’intérieur de l’Église domestique sont intimement liées à la chasteté conjugale. Elle doit donc être protégée et aimée. Il en est de même pour l’Église universelle. La fécondité spirituelle ne peut qu’être liée à la conversion de chacun des membres du corps du Christ, par la chasteté. Thérèse de Lisieux a su avec génie décrire la fragilité inhérente à n’être qu’un reflet du mystère du Christ : « Être ton épouse, ô Jésus, être carmélite, être par mon union avec toi la mère des âmes, cela devrait me suffire… » Elle décrit ensuite son désir pour d’autres vocations. Elle ne peut que conclure : « La Charité me donna la clef de ma vocation[6]. » À ma toute petite échelle, après avoir contemplé, pendant des années, la beauté de la chasteté pour le Royaume et celle du mariage, j’en ai déduit dans mon ouvrage consacré à cette vertu, qui est aussi un don :
« la chasteté permet à Dieu d’inscrire la charité dans le temps. […] Notre chasteté personnelle est don, participation à la chasteté du Seigneur. Notre chasteté est greffée sur celle du Christ. Elle nécessite un acte de foi en l’Incarnation du Fils de Dieu. « Il est venu chez lui, et les siens ne l’ont pas reçu. Mais à ceux qui l’ont reçu, il a donné le pouvoir de devenir enfants de Dieu, eux qui croient en son nom. » ( Jn 1,11-12) Le Seigneur nous a aimés et nous a donné sa vie à travers son humble et très sainte chasteté. Dans l’Évangile, il nous indique que la venue de l’Esprit Saint est aussi soumise à son départ corporel… Notre chasteté, même bien imparfaite, ici-bas toujours en devenir, mais bien unie à celle du Sauveur par le baptême et la vie de la grâce, permet à notre corps d’être le temple de l’Esprit Saint. Voilà comment, par la chasteté, Dieu permet à la charité de s’inscrire dans le temps et la matière. Telle est la grâce que le Fils nous a obtenue. « Comme le Père m’a aimé, moi aussi je vous ai aimés. Demeurez en mon amour » (Jn 15,9) »[7].
Par la vertu de la chasteté, le couple peut être greffé sur la vigne qu’est le Christ, enraciné dans l’amour de Dieu le Père. Il peut alors porter « beaucoup de fruits » (Jn 15,5).
[1] Pour parler aux jeunes de cette altérité anthropologique entre l’homme et la femme, nous renvoyons à notre livre Bien vivre le cycle féminin paru chez Artège en 2020.
[2] On peut lire Humanae vitae, texte intégral commenté, éd. Artège, co-écrit avec l’abbé Bruno Bettoli, 2018.
[3] « La chasteté nous recompose ; elle nous ramène à cette unité que nous avions perdue en nous éparpillant » (saint Augustin, Confessions 10,29) cité dans le Catéchisme de l’Église Catholique 2340.
[4] Cette responsabilité de la chasteté du conjoint est évidemment plus limitée que celle concernant la chasteté personnelle ou conjugale. Cette précision veut aider les conjoints qui vivent de graves conflits à ne pas entretenir de confusion. L’épouse qui est le témoin d’un désordre chez son époux se doit de prier pour lui, de ne pas se laisser entraîner – ce qui touche aussi à la chasteté du corps commun – mais elle n’a pas à se sentir responsable. Elle n’est pas non plus la mieux placée pour aider son mari sur le plan psychologique ou moral.
[5] « Je vous exhorte donc, frères, par la tendresse de Dieu, à lui présenter votre corps – votre personne tout entière –, en sacrifice vivant, saint, capable de plaire à Dieu : c’est là, pour vous, la juste manière de lui rendre un culte. » (Rm 12,1)
[6] « Je compris que si l’Église avait un corps, composé de différents membres, le plus nécessaire, le plus noble de tous ne lui manquait pas, je compris que l’Église avait un Coeur, et que ce Coeur était BRÛLANT d’AMOUR. Je compris que l’Amour seul faisait agir les membres de l’Église, que si l’Amour venait à s’éteindre, les Apôtres n’annonceraient plus l’Évangile, les Martyrs refuseraient de verser leur sang… Je compris que l’AMOUR RENFERMAIT TOUTES LES VOCATIONS, QUE L’AMOUR ÉTAIT TOUT, QU’IL EMBRASSAIT TOUS LES TEMPS ET TOUS LES LIEUX… EN UN MOT, QU’IL EST ÉTERNEL ! … Alors, dans l’excès de ma joie délirante, je me suis écriée : Ô Jésus, mon Amour… ma vocation, enfin je l’ai trouvée, MA VOCATION, C’EST L’AMOUR ! » (Ms B, 3v°).
[7] Gabrielle Vialla, La chasteté, un don qui rend sa beauté à la sexualité, Paris, Artège, 2020, p. 137.