Les grandes illusions
paru dans Liberté Politique n°85, juillet 2020
La grande illusion est le titre d’un chef d’œuvre cinématographique de Jean Renoir. L’action se passe dans une prison lors de la Première Guerre mondiale. L’officier français, joué par Pierre Fresnay, révèle l’état d’esprit qui a prévalu et permis ce désastre pour l’Europe : « En espérant que c’est la dernière guerre ». L’officier allemand répond sobrement : « Ah ! tu te fais des illusions ». Le spectateur français s’identifiant naturellement à l’officier de son camp, connaissant dorénavant la suite tragique du destin de son pays, perçoit la charge sans concession du réalisateur face à la sur-confiance, la désinvolture avec laquelle les personnes ayant autorité peuvent s’aveugler sur le bien-fondé de leurs décisions et créer de dramatiques précédents. Si l’analogie entre la guerre et une pandémie virale est discutable à bien des égards, en revanche, ce titre que je mets au pluriel, Les grandes illusions, résume parfaitement mon propos.
À partir de modélisations critiquables, grâce aux moyens de communication modernes, d’internet, les gouvernements ont imposé une gestion inédite d’un phénomène terrible mais connu dans l’histoire – une épidémie. L’Église catholique s’est elle-même retrouvée entraînée dans le confinement, situation inconnue à cette échelle. Impréparés, la hiérarchie cléricale et les catholiques se sont adaptés, révélant ainsi bien souvent les paradigmes de leur pensée et leurs véritables priorités. Les conséquences positives furent immédiatement relevées et mises en lumière : nombreuses catéchèses, instructions « en ligne », messes « en live », possibilité de recevoir l’extrême onction, continuité des enterrements, continuité des œuvres sociales – distribution des repas, appels à « rester en contact » avec les personnes âgées et isolées, services d’écoute en ligne auprès de publics divers, confection de masques, blouses, divers services dans l’accueil hospitalier… Beaucoup ont témoigné pour leur famille de moments privilégiés d’échanges et de prières.
D’autres conséquences ne firent pas l’objet d’une même publicité sympathique sur les réseaux sociaux : privation de l’Eucharistie pour l’immense majorité des fidèles pendant de longues semaines, dont les jours saints, dans une grande partie du monde, isolement des malades et des souffrants, arrêt des baptêmes, confirmations, mariages, mais aussi abandons de très nombreuses personnes âgées et mourants par peur, lâcheté ou par soumission à une réelle dictature administrative, isolement de la vie contemplative avec la fermeture des hôtelleries, voire des abbatiales. Dans un premier temps ou dans un certain nombre de lieux, il y eut la fermeture des églises, l’impossibilité de rencontrer un prêtre « en vrai », de se confesser, ou de communier. Certaines de ces dispositions étant imposées par le gouvernement, d’autres par les préfets, d’autres par la hiérarchie catholique, d’autres enfin par l’initiative personnelle du clergé local ou des laïcs.
Comment a-t-on pu en arriver là ? Est-ce un précédent inéluctable pour la prochaine vague, la prochaine épidémie, voire pour la grippe saisonnière ?
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À la faveur du confinement, on a entendu de nombreuses justifications théologiques sur la privation de la participation à la messe du dimanche des fidèles, ainsi que sur la privation de la communion en dehors de la messe. La réalité de la nécessaire vie sacramentelle pour un catholique fut mise sous silence, et « la créativité » orientée surtout vers le numérique. Pourtant, le père Léthel donne dans son ouvrage La blessure eucharistique[1], de nombreux exemples de l’habituel courage catholique dans les circonstances extrêmes (camps de concentration nazis, emprisonnement au Vietnam…) où la créativité et le courage furent au service du don réel de l’Eucharistie à ceux qui souffrent. Il donne cet exemple du Vénérable cardinal vietnamien François-Xavier Nguyen Van Thuân, qui est resté treize ans en prison, lors de la persécution communiste : « Il a réussi à célébrer l’Eucharistie chaque jour dans les conditions les plus extrêmes, avec trois gouttes de vin dans la paume d’une main, une petite hostie dans l’autre, en conservant continuellement une hostie consacrée dans la poche de sa chemise. Pour un autre prêtre prisonnier, il avait fabriqué une bague avec le fer d’une boîte de conserves, qui était un « mini-tabernacle » contenant un fragment d’hostie consacrée. Aux catholiques prisonniers, il donnait une réserve d’hosties consacrée dans des paquets de cigarettes pour qu’ils pussent continuer à vivre l’adoration et la communion. Pendant cette période de persécution les évêques vietnamiens avaient donné aux laïcs engagés la permission de garder l’Eucharistie pour la porter dans les zones où les prêtres ne pouvaient pas pénétrer. Dans une de ses prières écrites en prison, Mgr. Van Thuan disait à Jésus Eucharistie : « Je te porte avec moi jour et nuit ». Cette proximité continuelle de Jésus Eucharistie le soutenait, l’aidait à pardonner et à aimer héroïquement ses ennemis, à tel point que ses gardiens communistes devenaient souvent ses amis ! Il affirmait : « Ma seule force est l’Eucharistie » ».
Cette créativité se trouve aussi dans une tradition plus ancienne. Ainsi, Françoise Bouchard raconte un épisode de la vie de sainte Jeanne de Chantal[2]. Afin qu’une pauvre femme atteinte d’un chancre réputé contagieux lui dévorant le visage puisse communier, la sainte fit fabriquer une pince en argent. Le prêtre put ainsi introduire la Sainte Hostie sans risquer de toucher la malheureuse. Cet exemple est intéressant à plusieurs points. Tout d’abord l’initiative est prise par une femme, alors simple laïque. Dans ce cas comme pour le Covid-19, la malheureuse était placée en isolement car elle était contagieuse ; la bien-pensance générale estimait, de plus, que cette femme pouvait être privée de messe et de communion. On conseilla enfin à la baronne de Chantal de s’éloigner d’elle afin de ne pas contaminer ses propres enfants, puisqu’elle-même semblait mépriser sa santé. Un argument similaire fut largement donné pour le Covid : ceux qui accepteraient de « se sacrifier » pouvaient tout de même porter préjudice en diffusant la maladie sans le savoir ; ils devaient donc impérativement s’en abstenir. La démarche de la sainte française fut tenace car elle n’abandonna pas face à ses détracteurs amicaux et familiaux. Elle fut créative et la plus respectueuse possible envers l’Eucharistie car on fit appel à un orfèvre. L’Église a finalement reconnu dans cet acte la charité de Jeanne de Chantal.
Que la réglementation étatiste sanitaire et hygiéniste ait rendu possible d’aller chercher une crème hydratante à la pharmacie, ou du bon vin chez le caviste, mais que l’on ait largement interdit de donner la communion aux fidèles, que très peu de prêtres et évêques aient permis avec la prudence, la distanciation nécessaire etc. la présence de quelques fidèles à leur messe, qu’on ait largement refusé aux fidèles la communion en dehors de la messe, voilà des faits avérés. Non seulement la majorité des prêtres et des fidèles se sont laissé entraîner à sur-interpréter les règles hygiénistes lorsqu’elles étaient manifestement disproportionnées, mais le plus désolant pour l’avenir est que très peu se sont interrogés sur de possibles surenchères et lâchetés personnelles ou collectives, voire de possibles abus de pouvoir. Le travail de la raison fut nié. Seules l’émotion et une conception restreinte de l’obéissance furent tolérées. Pourtant nous avons à relire ce temps récent pour réagir avec foi collectivement, au cas où ce type d’épreuve nous toucherait à nouveau. Nous devons aussi prendre conscience que certains tirent de cette « catéchèse du confinement » viciée une certaine cohérence, qui peut laisser de profondes conséquences. Ainsi Anne Soupa, qui a présenté très médiatiquement sa candidature à l’archevêché de Lyon, explique sobrement mais avec une implacable logique : « Les sacrements ce n’est pas le tout de la vie chrétienne. On peut vivre en chrétien sans ces sacrements, on l’a vu pendant le confinement. »
On a largement préféré voir dans cette candidature une réclamation fantaisiste plutôt qu’une réponse de la bergère au berger. Pourtant, si l’autorité utilise toutes sortes de manipulation du langage pour faire accepter les normes gouvernementales, elle doit s’attendre à des réactions de même type en retour. Examinons quelques éléments de langage largement donnés par des autorités cléricales.
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D’abord s’est imposé le terme abusif de « jeûne eucharistique ». Alors que nos aînés dans la foi se privaient de nourriture et de boisson pour pouvoir communier, par un simple artifice de langage il nous était possible de manger, boire, profiter de l’existence, du confort moderne et des divertissements sur internet ; tout en faisant un nouveau jeûne : celui de se priver de la messe ! Quand on prend quelques minutes de réflexion, on mesure la terrible inversion qui s’est glissée et répandue.
Je précise à mon lecteur que ma critique porte sur la justification pastorale donnée, et non sur le fait qu’il existe des circonstances concrètes qui peuvent rendre impossible la présence à la messe : maladie, absence ou éloignement de prêtres, emprisonnement, persécutions… Il ne s’agit pas de remettre en cause les données épistémologiques contemporaines mais d’accepter une réflexion sur l’agir face à celles-ci et sur les arguments théologiques donnés pour faire accepter les mesures sanitaires.
Ceci étant précisé, voici une seconde justification entendue : nous pouvions enfin vivre en communion avec ceux qui habituellement ne peuvent communier. Là, de nouveau, nous assistons à un processus qui interpelle : à la fin du synode sur l’Amazonie, on arguait majoritairement que l’accès à la communion devait être possible pour tous, partout. Puis, par un étrange phénomène, il ne s’est plus agi de partager un bien, le plus grand soit-il, mais de considérer que la privation de ce bien, si elle est partagée par tous, est un bien. On constate une mise en exergue de la dimension communautaire, transversale, sociale, de l’Eucharistie, rendue prioritaire sur la relation interpersonnelle et transcendante entre Dieu et l’âme – relation qui est aussi intercession pour tout le genre humain. Cette position égalitariste a amené des religieuses contemplatives à refuser la présence d’un prêtre résident, des prêtres à ne plus dire leur messe par fausse compassion. Avec cet oubli impressionnant des personnes divines elles-mêmes partie prenante dans cet admirable échange qu’est l’Eucharistie : exit le fait que le Christ désire se donner aux âmes sacramentellement…
Par ailleurs, on a peu mesuré l’incongruité de certaines comparaisons. Si certains catholiques ne peuvent recevoir l’Eucharistie parce que leur situation personnelle est objectivement en contradiction avec le don du Christ pour l’Église, ce ne sont pas seulement les circonstances qui les en empêchent mais aussi une certaine responsabilité personnelle. Rappeler que certains chrétiens sont privés de pasteur ou sont emprisonnés est une réalité, mais être confiné à quelques centaines de mètres de son curé et réciproquement de ses fidèles, et ne pouvoir communier n’est pas du tout la même expérience humaine et spirituelle que d’attendre la venue d’un missionnaire ou d’être empêché manu militari de rejoindre la messe. Encore une fois, il convient de rappeler le contexte : en France, il fut toujours possible de se rendre au supermarché, à la pharmacie, de marcher pendant une heure à un kilomètre de distance, et même de se rendre dans une église se trouvant entre le domicile et le supermarché… Des éboueurs, des boulangers, des caissiers, des postiers – sans parler des médecins, infirmiers, agents de ménage – ont pris des risques que bien des évêques et des prêtres n’ont pas pris, soit par refus, soit par obéissance alors qu’ils l’auraient désiré.
Certes – merci Seigneur, merci à eux – une belle minorité, plus silencieuse, a continué à faire « son job », à obtenir de le faire pour nourrir du pain de Vie ceux qui le demandaient.
Mais dans l’ensemble, on a massivement introduit un nouveau paradigme comme l’a noté Anne Soupa : nous pouvions concrètement vivre sans l’Eucharistie si nous jugions les circonstances suffisantes. Ainsi, d’aucunes arguent maintenant que lorsque les autorités masculines ont manifestement failli dans un diocèse, il serait plus sain d’adapter les choses en introduisant une femme au gouvernement. Comparaison n’est pas raison[3]. Mais tel est le résultat d’une pastorale des circonstances.
Alors que la liturgie, pendant le confinement, a pu nous donner les plus beaux textes sur le pain de Vie ou l’Eucharistie, la majorité des pasteurs nous exhortait à une charité qui se vit en se privant du Pain de Vie. Les circonstances (le Covid) imposaient une pastorale soi-disant adaptée qui faisait fi des textes. Les circonstances donnaient le « la » de la foi.
Beaucoup ont ergoté sur le fait que l’Eucharistie n’était pas « vitale ». En effet, même si pour beaucoup d’âmes la communion est un « soutien » pour l’esprit et le corps comme le rappellent bien des prières liturgiques après la communion, nous ne vivons pas cela habituellement avec l’intensité d’une sainte Catherine de Sienne. L’Eucharistie n’est pas la raison de notre santé, si nous l’entendons à la manière du monde contemporain. La santé est devenue hygiène, normes, constantes chiffrables. Il ne s’agit plus d’abord de comprendre ce qui est nécessaire à la nature humaine, mais de plier la nature humaine à une efficacité. Tel est déjà le cas depuis plus de cinquante ans, pour la gynécologie, où la norme est devenue la contraception et où le respect du cycle féminin est l’exception[4]. Si nous entendons la santé et la maladie comme le Christ, dans un sens plein, où l’esprit et l’âme participent au bien du corps, alors oui l’Eucharistie est vitale. C’est ce que nous enseignent les textes de la liturgie sur le Pain de Vie que nous avons reçus pendant le confinement. Mais, tétanisés, nous nous sommes plus ou moins habitués à une dichotomie entre l’appel pressant du Seigneur à ce que nous le recevions réellement dans son Corps et son Sang, et cette situation où non seulement notre vie se déroulait sans pouvoir le recevoir, mais plus encore une pastorale troublante justifiait que du bien pouvait surgir de la privation raisonnée du Bien. Toujours à de belles exceptions près… Exceptions de ces pasteurs qui n’ont jamais cessé de dire leur messe en présence de fidèles, dans l’obéissance à leurs évêques à qui ils rappelaient humblement leurs devoirs respectifs. Ces exceptions, il s’agit de les chérir comme un trésor pour tous dans le cœur de l’Église. Là où une âme communie avec foi pour le monde, les grâces abondent. En certains endroits en France, davantage en Italie, les fidèles s’étant confessés pouvaient recevoir la communion de leur prêtre.
La dictature du relativisme que le pape Benoit XVI a tant dénoncé à temps et à contretemps, a engendré de mauvais réflexes pastoraux – le plus souvent inconscients. Notre société narcissique flatte en nous, en nos pasteurs, un regard opportuniste. On vante ainsi tel ou tel aspect de notre foi en passant sous silence tel autre au gré de nos besoins. On a pu ainsi mettre en exergue la miséricorde en oubliant la justice, etc. L’expérience du Covid-19 a révélé cette capacité jusqu’à l’excès. Beaucoup ont commencé par voir dans une réelle tragédie – il suffit de penser aux Ehpad – des opportunités pour la présence catholique sur les réseaux sociaux. On a entendu, sans sourciller, toutes sortes de sermons expliquant que la charité pouvait se passer de sa source sacramentelle. On nous a rappelé que nous étions le Christ aujourd’hui, et que par conséquent, nous devions être patients et conciliants avec la norme du moment. Certains n’ont compris la grande illusion de cette pastorale des circonstances qu’au fur et à mesure. Le déconfinement pour tout sauf pour les sacrements apporta un trouble chez de nombreux fidèles. Les laïcs aiment leurs prêtres et il leur est insupportable de réaliser qu’ils puissent faillir. J’ai entendu plusieurs fois que les prêtres devaient se protéger car on manquait de vocations et que l’on aurait besoin d’eux après ! La phase euphorique du Carême en ligne étant passée, la question n’était plus de chercher la vérité et le bien, dans le moment présent, mais d’attendre que « ça passe » car l’opportunité était dorénavant pour plus tard. Ce type de justification fut malheureusement largement accepté.
Cette pastorale des circonstances, forme sournoise du relativisme n’est pas forcément liée à une pensée progressiste, mais bien à l’opportunisme du cœuõr humain, à la tentation, pour le théologien, le pasteur, le catholique engagé, de tirer son épingle du jeu. De cela découlent pourtant tous les abus spirituels[5]…
Nous devons retrouver une foi qui accepte le travail de la raison et en particulier la cohérence. Nous devons exiger de nos pasteurs et théologiens, des arguments qui ne soient pas mouvants et réfutables au gré de la politique, des circonstances sanitaires…
Il s’agit de prendre conscience que ces réflexes pastoraux sont une sorte de mainmise sur la foi, un manque de chasteté[6] entendue dans le sens d’un respect total de toute la personne et de toute personne. La foi se reçoit de Dieu, et de l’Église. Cette dernière, l’Église, étant elle-même l’œuvre de Dieu, une avec le Christ. La foi de l’Église s’enracine dans la Tradition et la Parole de Dieu. Et non dans l’actualité ! Nous devons rechercher une conversion qui soit un retour à la foi de l’Évangile, qu’on ne choisit pas, qui est en conformité avec la raison, permettant même le déploiement de celle-ci.
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Comment ces justifications pastorales ont-elles pu si bien fonctionner ?
Catholiques, nous sommes aussi les enfants de notre époque. Le confinement et le monde d’après donnent un effet grossissant de paradigmes préexistants. Ces paradigmes expliquent les lâchetés et erreurs, comme dans une moindre mesure les réussites relatives.
Parmi ces paradigmes existentiels j’en distinguerai trois : l’égalitarisme, l’omnipotence du dialogue, enfin l’injonction au bonheur.
Si nous-même ne voulons pas nous laisser emporter par ces illusions il s’agit de prendre conscience de ce qu’elles révèlent et à quel point elles sont peu évangéliques.
L’égalitarisme a donné tout récemment sa version terrifiante dans « l’émotion » sociale et médiatique contre les violences policières racistes. L’aspiration légitime à l’égalité de traitement consécutive à l’égale dignité humaine est aujourd’hui hypertrophiée au point de paralyser toutes décisions qu’elles soient d’ordre social, politique ou spirituel. Cette utopie sociale a des répercussions dans le « management clérical ». Lors de la privation de la communion aux fidèles laïcs, la justification égalitaire fut le premier leitmotiv. « Je ne peux vous donner la communion (même si tout était possible sanitairement et légalement) car si tout le monde le demandait cela serait ingérable ». Que peu de personnes le demandaient réellement n’entrait pas en ligne de compte. Lors du déconfinement, toute solution créative pour permettre à certains de pouvoir assister à une messe était immédiatement rejetée au motif qu’une catégorie de personnes ne pourrait y assister. Tout argument était valide : absence de voiture pour les uns, fragilité de santé pour les autres, etc. Il s’agit de prendre conscience que l’égalitarisme est un totalitarisme soft, particulièrement efficace, employant une police dédiée, gratuite et disponible, faite de petits chefs. Ces personnes ont en réalité souvent plus de pouvoir que l’autorité légitime. Celle-ci en a une telle crainte, que par avance, elle s’y plie.
La seconde utopie consiste à attendre du dialogue un consensus – et non une recherche du bien – et à penser que pour réussir le dialogue, il convient préalablement de concéder des choses à son ennemi – pardon interlocuteur – au détriment de ses plus proches (enfants, paroissiens, amis…). Nous connaissons toutes sortes de variantes sociales et pédagogiques de cette utopie : éducation sans notes et sans punition, management collaboratif où l’on vous fait croire que vous choisirez salaire et vacances. En version catholique française, on rejoue une variante excessive et contemporaine du ralliement des catholiques voulu par Léon XIII. On se répète, et on finit par y croire, que tout homme politique fait son métier par pur désintérêt, pour le bien de tous et des catholiques en particulier. On anticipe les consignes, comme ce fut le cas le dimanche des élections, avant même les demandes gouvernementales. Éventuellement on rajoute des consignes pour montrer « qu’on joue le jeu », « qu’on est de bons citoyens ». En réalité on s’admire soi-même dans le rôle du gentil. Gentil non selon l’évangile mais selon la norme psychologique contemporaine. Il s’agit bien d’une version devenue folle de l’amour des ennemis. Plus proche du syndrome de Stockholm que du martyre qui lui ne cède pas, tout en pardonnant.
L’épisode du Conseil d’État saisi par quelques personnes et associations, en lieu et place des évêques de France, qui tentent ensuite d’expliquer qu’ils ont participé à cette victoire par le dialogue, n’est que le haut de cet iceberg qui se retrouve partout : conseils épiscopaux, paroissiaux, aumôneries publiques, écoles libres…
La troisième et non dernière utopie est l’injonction au bonheur. Le bonheur est rarement défini par nos contemporains. Il est souvent associé dans les enquêtes d’opinion à la santé, au bien-être, à la facilité ou qualité de vie, et à la famille. La famille : voilà bien le lieu d’un des plus grands paradoxes actuels. La famille est le refuge affectif. Elle est aussi le premier lieu de l’insécurité affective, par les divorces et autres remaniements possibles en fonction de la lassitude des adultes. La famille est définie par chacun au gré des envies, des besoins. Cela dit, nos contemporains pensent y trouver le bonheur. La famille avec ses fragilités n’aurait le droit d’exister que si les difficultés sont choisies et assumées. Dans cette vision, l’enfant non désiré, la personne handicapée ou le vieillard doivent pouvoir en être évacués. La mort, le grand âge y sont niés, placés à distance… Famille rime aujourd’hui avec confort et bien-être. La tentation est, aussi pour les catholiques, celle du communautarisme, et de l’illusion d’une séparation de la société. La souffrance et les idées contemporaines sont pourtant présentes dans toutes les familles.
Le père Potez dit ceci : « J’ai surtout côtoyé des gens qui souffrent. Beaucoup. Et c’est impressionnant. Le mot qui me revient le plus est dépouillement. La souffrance dépouille. On y perd beaucoup d’illusions, d’amour propre, de défenses. La souffrance fait fondre les blindages. Bref, elle rend vulnérable. Et c’est la clé. Mais seule la croix de Jésus peut illuminer la souffrance et lui donner un sens. Sans quoi elle reste désespérément obscure et absurde… plus le monde souffre – et tout porte à croire que ce n’est pas fini – et plus l’évangélisation est urgente. »
L’injonction au bonheur est un malheur quand elle refuse d’entendre la souffrance et de lui donner un sens. La famille ne doit pas être une réserve hédoniste de confort et de bien-être. Il y a là pourtant une vraie tentation, que le confinement a encore accentuée pour certains : le refus de la souffrance d’autrui, comme de la sienne propre, le refus de la finitude, le refus de se figurer sa propre mort inéluctable. Et peut-être le refus d’entendre la souffrance du Christ en Croix : « J’ai soif ! » « J’ai ardemment désiré manger cette Pâque avec vous avant de souffrir ! » (Lc 22, 15).
Ces refus de la souffrance et de la mort ne sont pas le bonheur. La logique de notre société morbide qui confond bien-être et bonheur, entraîne l’abandon de la vérité car celle-ci paraît trop coûteuse, trop exigeante. Beaucoup vont continuer à préférer les grandes illusions.
Pourtant, les membres de l’Église ont souffert du confinement sacramentel. La seule « sortie » est de venir à la Vérité, de L’aimer, de Lui présenter cette souffrance. Puissions-nous choisir de tout remettre devant une humble Hostie consacrée.
Gabrielle Vialla
[1] François-Marie Léthel, o.c.d, La blessure eucharistique, 02/05/2020, gratuit sur internet.
[2] Sainte Jeanne de Chantal ou La puissance d’aimer, Françoise Bouchard, éd. Salvator, 2004.
[3] J’ai écrit un ouvrage sur la vocation de la femme : Recevoir le Féminin, éd. Fécondité, 2018.
[4] Bien vivre le cycle féminin, Gabrielle Vialla, éd. Artège, 2020 : un beau livre illustré pour la transmission dans les familles sur le cycle féminin.
[5] J’ai ainsi montré cela dans différents articles sur mon blog fecondite.org
[6] À paraître : La chasteté, un don qui rend sa beauté à la sexualité, Gabrielle Vialla, Artège, oct. 2020.
Face à la PMA pour toutes, etc., que devons-nous faire ?
Ces jours-ci, nous assistons, assommés, à une aggravation et une intensification de la culture de mort. Sur le strict plan de l’intelligence nous ne devrions en avoir aucun étonnement. Jean-Paul II avait prédit les conséquences de la banalisation de la contraception (voir ses Catéchèses). La dissociation des modalités unitive et procréative de la sexualité humaine fut encore « normalisée » par la fécondation in-vitro (voir Donum vitae). Les conséquences d’une sexualité sans enfant par choix, ou d’un enfant sans sexualité lorsque l’infertilité n’est pas acceptée, sont socialement incalculables. Nous pourrions croire n’assister qu’aux prémices de cette culture de mort, si nous passions sous silence le drame des millions d’avortements et de destruction d’embryons (voir Evangelium vitæ). En réalité, les structures de péchés sont tellement bien implantées qu’elles produisent de « nouveaux besoins » et une tentation de profits financiers toujours plus importants.
Nous avons, devant chacune de nos consciences, ces deux systèmes anthropologiques irréductibles l’un à l’autre. L’un, dans le respect de ce qui vient de Dieu, refuse la chosification du corps et rappelle l’inaliénable dignité humaine. L’autre tourne massivement le dos au sens de la sexualité humaine, parce qu’il tourne le dos à Dieu qu’il ne reconnait plus. Soyons lucides. Ce système anthropologique est dominant aujourd’hui, allié à la culture.
Les personnes et nous-mêmes pouvons y être entraînés. Beaucoup ont une responsabilité atténuée par le manque de formation et les influences extérieures. Nous avons très peur de considérer les logiques internes à ces systèmes. On s’insurge face à chaque aggravation en criant à la nouvelle rupture anthropologique comme s’il s’agissait d’un fait isolé pour ne pas réaliser à quel point tout se tient, et où se situe la responsabilité personnelle de notre état de vie, de notre profession.
Que devons-nous faire? Il est important de s’opposer à toute aggravation des lois anti-vies. Pour la plupart d’entre nous, notre poids politique est limité, mais nous avons chacun l’occasion de nous rappeler que notre vote s’il pèse peu, compte et participe ou non à ces lois.
Plus profondément, nous avons à retrouver le goût de la chasteté, et de sa lumineuse cohérence. La chasteté étant l’intégration de la sexualité de la personne en vue de l’intégralité du don. Nous avons à approfondir sans cesse pour nous-mêmes le sens de cette sexualité, avant de l’annoncer largement dans sa plénitude. Nous avons à faire le choix du bonheur et de la vie. La régulation naturelle des naissances bien comprise intègre le projet de Dieu sur le couple. Elle reconnait dans chaque union la primauté du Créateur et la collaboration qu’Il a voulue avec les époux. Dieu a donné à l’homme et à la femme l’intelligence pour reconnaître un oui fondamental dans chaque union. Un oui prudent et responsable qui n’est pas émotif et sensible, mais raisonnable. Un oui qui reçoit la complémentarité de l’homme et de la femme et qui dans la sagesse divine, par le cycle féminin, permet aussi aux époux de consolider leur amour quand surviennent des raisons de différer les naissances pour un temps ou définitivement. Reste que quelque soient les circonstances, ce oui intelligent reste un oui fondamental associé à chaque union conjugale. Ce oui échappe à l’autonomie de la conscience et touche le cœur. La chasteté c’est vivre selon l’ordre du cœur, disait Jean-Paul II. Or vivre selon l’ordre du cœur a aussi un prix. Un prix immatériel mais réel de gratuité et de don. La chasteté est lumineuse mais exigeante quelque soit l’état de vie.
Saurons-nous dire généreusement oui ?
Gabrielle Vialla
– À paraître le 21 octobre prochain : La chasteté, Un don qui rend sa beauté à la sexualité, éd. Artège
– Sur les apports anthropologiques de la régulation naturelle des naissances et du cycle féminin, lire Recevoir le Féminin
– Pour la transmission dans les familles et auprès des jeunes, on peut lire Bien Vivre le Cycle Féminin
Jean-Paul II et l’amour personnel
Pour beaucoup, Jean-Paul II est le pape de la jeunesse, de l’engagement personnel dans le mariage ou le sacerdoce, le pape de l’apostolat en faveur de la famille, le formateur de la conscience morale, qui nous appelle encore au service de la vie, des plus fragiles. Cette même année 2020 voit ainsi les 100 ans de la naissance de JPII et les 25 ans de son encyclique Evangelium Vitæ. Pour beaucoup, Jean-Paul II est ce Fils de Marie qu’on ne peut oublier lorsqu’on pérégrine. Tant de plaques commémoratives rappellent le passage du grand voyageur… Enfin pour certains Jean-Paul II est bien sûr le pape de la « théologie du corps ».
Benoît XVI rappelle la centralité de la Miséricorde dans la spiritualité de Jean-Paul II. La Miséricorde est le fruit de l’amour personnel du Christ pour chacune de nos âmes jusqu’à la mort sur la Croix. Amour personnel qui coule du côté ouvert et qui nous appelle à la réciprocité pour devenir un amour interpersonnel.
À l’image du Maître, Jean-Paul II voulait demeurer auprès de ses amis. Il désirait vivre, marcher auprès de ceux qui lui étaient confiés. La psychologie et l’affectivité humaines ont besoin de moments privilégiés pour comprendre la véracité de l’amour interpersonnel. Notre-Seigneur ne les a pas refusés à Marthe et Marie. Jean-Paul II les a accordés généreusement à ceux qui le prirent comme « oncle ». Les photos de cette complicité accordée à certains témoignent de la joie partagée, d’amitiés authentiquement spirituelles parce que parfaitement humaines. La sainteté est bien l’actualisation de la beauté de l’Incarnation. Celle-ci n’est possible qu’avec la proximité et le don de soi par le corps. Il s’agit d’une façon ou d’une autre de « mouiller la chemise »… Le coronavirus va-t-il changer cela ? Non, il nous rappellera seulement par ses conséquences humaines, économiques et spirituelles les déficits de notre clairvoyance et de notre charité, qui prend sa source dans l’Eucharistie.
Il aura aussi été heureusement l’occasion de généreux dons de soi cachés et de fidélité à l’Évangile par un petit reste. Il a rappelé cruellement aux âmes ardentes que le monde ment lorsqu’il prétend aimer avec l’égalitarisme. Le favoritisme de l’Évangile – rappelé par la Parole de Dieu de ces derniers jours – c’est le rappel que le serviteur n’est pas plus grand que le Maître, et que si le Christ est persécuté, ses amis le sont aussi. Cette persécution, Jean-Paul II l’a vécue de diverses façons. Post mortem, encore, on désire associer à cette figure lumineuse les scandales non toujours élucidés qui ont eu lieu pendant son long pontificat. À l’école de Jean-Paul II, choisissons la cohérence et la beauté, combattons l’inversion généralisée, la manipulation des intelligences et des consciences. Percevons davantage le don que Dieu nous a fait à travers Karol Wojtyla à une époque si confuse sur le corps, la sexualité, la relation. Époque qui, ayant perdu le sens de Dieu, perd le sens du corps, de sa signification. Sachons reconnaître les antipoisons que l’Esprit Saint suscite toujours dans son Église. Jean-Paul II est bien un signe que le Christ n’abandonne jamais son Église.
Saint Jean Paul II, le grand ?, s’interroge notre bien-aimé Benoit XVI dans une nouvelle admirable lettre. En attendant que la postérité inscrive ce titre auprès de saint Grégoire, pour moi Jean Paul II est définitivement avant même le saint et le professeur – j’ose – … l’ami, le confident, le proche ! Puisse-t-il être aussi le vôtre ! Joyeux anniversaire JPII !
Gabrielle Vialla
« Voulez-vous vous offrir à Dieu ? »
« Voulez-vous vous offrir à Dieu ? » Telle fut la demande de Notre-Dame de Fatima aux petits bergers.
C’est une invitation à adhérer personnellement à la logique de l’Eucharistie. On note rarement ce cœur du message de Fatima. Pourtant, cette demande est préparée par l’Ange de la paix. (voir post du 10 mai). Quiconque a été à Fatima ou en a lu l’histoire note peut-être la réponse des trois enfants « Oui, nous voulons nous offrir » mais est surtout fortement frappé par la radicalité avec laquelle les voyants vont répondre par de « petits » sacrifices. Cela fait très peur à nos mentalités matérialistes, qui ne comprennent pas comment ces enfants ont pu à ce point participer à la mission de Notre-Dame.
Cette logique de l’Eucharistie nous est rappelée par la mère de Dieu à trois enfants, sans passer par le sacerdoce ministériel. C’est à la plus âgée de rester sur la terre pour rendre compte des demandes du Ciel. Les deux plus jeunes vont offrir jusqu’à leur mort précoce. Tout ici est perturbant et percutant.
L’exclusion du sacerdoce n’enlève rien à la femme de sa mission. Au contraire.
Fatima, par la préparation et la première communion des enfants, par la demande de Notre-Dame, par les missions respectives de Lucie, Jacinthe et François, en est un signe éclatant. L’Église est constituée d’un sacerdoce ministériel et d’un sacerdoce commun des fidèles ordonnés l’un à l’autre. Elle est constituée des vocations des femmes et des hommes non interchangeables. Ce mois de Mai est l’occasion de contempler le rôle de Marie vis à vis de l’Eucharistie.
« De même que Marie est cachée à nos yeux dans la contemplation de la sainte Cène, le féminin est caché lors de l’Eucharistie. De même, à la Croix et le Samedi saint, lorsque la divinité se cache, la foi de l’Église se réfugie dans le cœur de Marie, selon la formule du cardinal Journet. La foi, portée par le féminin, prend toute sa signification quand la divinité de Jésus s’éclipse. Aujourd’hui dans un monde où le sens de Dieu se perd, la foi de la femme, dans sa pureté et sa proximité avec Jésus, est plus que jamais nécessaire. »
Nous avons plus que jamais besoin de recourir à Notre-Dame. Si la grâce de pouvoir retourner à de nombreuses messes nous est faite, pourrions-nous décider de répondre à l’appel de la communion réparatrice des premiers samedis ? En attendant, nous pouvons participer chaque jour à la réparation demandée à Fatima, en récitant la prière de l’ange.
La citation vient de mon livre Recevoir le Féminin, à lire pour aller plus loin.
Gabrielle Vialla
Réparation ?
À partir de demain, 11 mai, alors que tout reprend progressivement (coiffeurs, réunions familiales, écoles, etc.) certains évêques ont décidé d’interdire, quelquefois plus explicitement encore que pendant le confinement, la présence des fidèles à la messe des prêtres (même avec moins de 10 personnes), et disent aussi impossible la distribution de l’Eucharistie sauf en cas de maladie.
Les raisons invoquées ne sont plus strictement la crise sanitaire. J’appelle donc à une saine obéissance qui tâche de comprendre ce qui se passe, puis réagisse.
En 1200 le pape Innocent III jeta un interdit sur le Royaume de France, suite au refus de Philippe Auguste de se séparer d’une épouse illégitime. Le clergé a eu l’interdiction de délivrer les sacrements au peuple. Finalement, la prière et plainte bruyante des pasteurs et du peuple vont forcer le Roi à rentrer dans le rang. Aujourd’hui, cela nous paraît fou.
À chaque époque, sa discipline, sa cohérence, et ses moyens. À chaque époque aussi l’obéissance respectueuse mais non aveugle. À chaque époque le peuple de Dieu, « descendance choisie, sacerdoce royal, nation sainte » a quelque chose à dire. La nôtre est très attentive aux abus cléricaux, et désire une vraie conversion à ce sujet. Dans un précédent article, j’ai rappelé que dans tout abus spirituel, il y a des justifications théologiques faussées, souvent inversées, une culpabilisation de ceux qui désireraient réagir et un manque de compassion. Nous sommes dans une situation inédite où chacun doit suivre péniblement sa conscience, œuvrer à sa propre conversion, pour le bien du corps entier.
Dans quelques jours, nous fêterons Notre-Dame de Fatima.
Avant les apparitions de la Vierge Marie, un ange prépare les enfants. Il va ensuite les faire communier. Longtemps, je me suis demandé pourquoi à Fatima les enfants ont communié avant de voir la Sainte Vierge, alors que Bernadette de Lourdes a vu Notre-Dame, puis a dû péniblement préparer ensuite sa première communion.
Nous pouvons redécouvrir la belle prière de l’Ange de la paix et l’adapter (oh très légèrement) à notre situation, pour réparer, garder la paix et le désir de Le Recevoir
PRIÈRE DE RÉPARATION pour la privation de la participation à la Messe et de la communion des fidèles :
« Très Sainte Trinité, Père, Fils et Saint-Esprit, je Vous adore profondément, et je Vous offre le très précieux Corps, Sang, Âme et Divinité de Jésus-Christ, présent dans tous les Tabernacles de la terre, en réparation des outrages, indifférences par lesquels Il est Lui-même offensé. Par les mérites infinis de Son très Saint Cœur et du Cœur Immaculé de Marie, je Vous demande la conversion des pauvres pécheurs, et la lumière pour mon évêque »
Tout abus sexuel dans l’Église commence par un abus spirituel, un abus d’autorité
Fidèles laïcs, prenons la mesure de notre sacerdoce commun.
Nous ne sommes pas des chrétiens de seconde catégorie, infantilisés et sans intelligence. Nous avons une responsabilité face à tout abus d’autorité cléricale. Si nous savons dénoncer les propos abusifs de monsieur Castaner, avec bien plus de respect, notre devoir, même difficile, est aussi de réagir à tout abus épiscopal ou clérical objectif. Si nous nous habituons à ne rien dire, nous laissons perdurer les mêmes réflexes de corps qui privilégient le silence, la culpabilisation des consciences et enfin le rejet de la compassion. Ce réflexe qui protège le fort face au faible, offense le Christ… Nous pouvons toujours pleurer, prier face au scandale, il convient aussi de devenir clairvoyants.
Les silences face à des abus sexuels, à des abus spirituels et peut-être bientôt face à une privatisation abusive de l’Eucharistie par certains clercs, pourraient bien être les fruits de nature différente d’une même crise spirituelle ?
Je vous conseille un très beau livre, Risques et dérives de la vie religieuse, par Dom Dysmas de Lassus, prieur de Chartreuse. Vous y découvrirez comme moi que la vie spirituelle n’est pas le renoncement à l’intelligence. Vous y trouverez ce que sont l’obéissance, l’autorité, la paternité spirituelle, non forcément comme vous l’avez toujours entendu, mais comme l’Évangile l’entend ! À l’exemple du pape saint Boniface (fête du jour) qui vécut peste et autres calamités, sachons puiser dans la vie monastique la sagesse, les éléments curatifs et préventifs dont nous avons tant besoin.
Gabrielle Vialla
Le Bon Pasteur et l’Eucharistie
L’Eucharistie n’est pas un dû. Voilà peut-être la phrase la plus lue, la plus entendue depuis le début du confinement. Peut-être un élément de langage ? Oui, l’Eucharistie est un don; « ma vie nul ne la prend mais c’est moi qui la donne » (Jean 10, 18).
L’Eucharistie n’est pas un dû, certes, mais qu’est-ce que l’Eucharistie ? Le lexique le plus évident de la parole de Dieu, jusque dans le Notre-Père, c’est que l’Eucharistie est notre nourriture, notre nourriture quotidienne. Alors, après tant de jours, je m’interroge sur le peu d’inflexion pastorale pour nourrir sacramentellement les confinés. Dispense de la distribution de l’Eucharistie pourtant traditionnelle, en faveur de l’accouchée ou du malade. J’ai été souvent malade et accouchée, alors l’incongruité de la situation m’apparaît. Car on m’a toujours nourrie lorsque je l’ai demandé !
C’est le dimanche du Bon Pasteur, dimanche de prière intense pour les prêtres et les vocations. Un Bon berger laisse-t-il longtemps ses brebis sans nourriture ? Parce qu’elles auraient la consolation d’entendre sa voix (la Parole de Dieu), parce qu’elles pourraient vivre de la charité en se servant les unes les autres ?
La demande de notre nourriture quotidienne, le pain de Vie que nous avons médité dans les évangiles cette semaine, le Bon Pasteur… Jésus utilise des images si simples qu’elles en deviennent terriblement exigeantes. Alors, mère de famille, je me demande pourquoi ? Pourquoi ce silence ? Oui les pasteurs nous parlent beaucoup. Ils ont demandé à l’État. Ils ont été tristes, en colère, désemparés, et pourtant il y a encore un silence.
Nourrir les brebis, est ce vraiment impossible ? Injustifié ?
L’explication la plus simple est peut-être la meilleure. S’il fallait dans les circonstances actuelles nourrir le peuple de Dieu, il faudrait redécouvrir le lien entre la confession et l’eucharistie. De nombreux appels à la conversion ont été mis en exergue, et celle-ci la souhaitons-nous aussi ?
Redécouvrir le lien entre la confession et l’eucharistie, cela signifierait aussi baptiser ceux qui attendent, marier ceux qui le demandent malgré les restrictions, mais aussi éclairer certains davantage sur la vie sexuelle, la situation matrimoniale… Cela signifierait redécouvrir l’Évangile et le lien prêtre-Christ comme un enfant : Jésus va à Cana, il guérit les malades, il rencontre ses contradicteurs en personne, il ne fuit pas les lépreux, il demande à la Samaritaine où est son mari, il est emmené en prison, devant les tribunaux… Cela signifierait enfin distinguer pour un temps particulier, la fête sociale qu’on appelle célébration, cérémonie, de la réalité du don personnel du Christ pour nous, qu’on appelle sacrement. Un autre jeûne finalement, celui de la fête ?
On a dit de saint Jacques le Mineur qu’il ressemblait à Jésus et que ceux qui avaient vu Jésus aimaient à le regarder, car ils retrouvaient en lui les traits du Maître. Saint Philippe et saint Jacques, saints apôtres du Seigneur, donnez-nous de saints pasteurs et de saints prêtres, pour nous rappeler qu’Il est réellement là, le Bon Pasteur !
Gabrielle Vialla
NON à l’infantilisation du peuple de la Vie. Que vive la paternité responsable !
À la faveur du déconfinement, on entend : laissez les médecins choisir leurs traitements, les pharmaciens vendre des masques, les enseignants enseigner au mieux selon les circonstances, enfin laissez les prêtres donner les sacrements et organiser le culte. Principe de base de la doctrine sociale de l’Église, ce principe de subsidiarité est malheureusement peu compris, encore moins aimé.
Ainsi, il est incohérent de rappeler le principe de subsidiarité, même sans le nommer, et d’afficher une infantilisation dans ce qui ne relève pas de la compétence de l’autorité rappelée à ce principe. Faisons une analogie entre la paternité et maternité qui relève directement de la responsabilité des époux, et la sanctification du peuple de Dieu qui relève de la responsabilité des pasteurs, disons de leur « paternité spirituelle ».
C’est un fait que certaines circonstances rendent très difficile en pratique l’exercice de ces responsabilités. Moniteurs de régulation naturelle des naissances, nous rappelons sans cesse aux époux que rien ne justifie de se défausser de la responsabilité vis-à-vis de la vie à naître dans notre foyer : ni les pressions médicales, sociales, familiales, éducatives. Certes les époux doivent tenir compte des circonstances, mais ils doivent rester libres de bien agir. Ils doivent aussi être conscients que certains pourraient profiter des circonstances pour leur retirer ce qui leur est confié. Ils ont donc à s’exhorter les uns les autres à rester courageux.
Si les autorités supérieures ne doivent pas soustraire aux autorités inférieures le discernement et les tâches qu’elles sont capables de faire, les autorités inférieures n’ont pas à attendre des autorités supérieures qu’elles prennent en charge leur propre responsabilité. Qui exige le principe de subsidiarité doit être conscient de sa propre responsabilité et être prêt à l’assumer.
Aujourd’hui, le Covid rend difficile la responsabilité de la sanctification du peuple de Dieu. Qu’un gouvernement interdise en temps de pandémie les rassemblements de plus de x personnes, qu’il aille jusqu’à confondre liberté de culte et liberté de rassemblement dans un pays laïc, devenu multi-cultuel, on peut le déplorer mais le comprendre. En revanche, attendre du gouvernement les consignes sacramentelles, lui demander de statuer sur la confession, la distribution de la communion, la messe privée : c’est se défausser de sa responsabilité.
On peut s’auto-féliciter, se vanter de la discipline des fidèles et des pasteurs. On peut aussi être conscients des postures de chacun, sans juger d’ailleurs des intentions. Il convient de mesurer les conséquences de positions prises hier, afin d’être éclairé sur celles à prendre aujourd’hui et demain. Oui certains évêques puis certains prêtres, pensant peut-être que la crise sanitaire ne durerait pas, ont ajouté des mesures à des mesures, limitant l’apostolat des prêtres au virtuel, aux enterrements et à l’extrême-onction. Fidèles laïcs, nous mettons aussi du temps à comprendre ce qui se passe et à discerner ce qu’il convient de faire.
Quelques-uns en ont appelé au gouvernement pour l’après-11 mai. Finalement il faut attendre le 2 juin ? Mais pourquoi attendre si des églises ont été abusivement fermées? Pourquoi ne pas proposer l’adoration, reprendre des confessions, dire des messes privées…. Cessons de faire croire que le gouvernement a son mot à dire sur bien des choses qui en réalité ne le regardent pas. C’est dangereux ! Prenons nos responsabilités avec toutes les tolérances existantes. C’est vrai pour les pasteurs, comme pour les fidèles laïcs. On peut prier dans les églises ouvertes, et grâce aux doodles ne pas s’y rassembler. Arrêtons de nous auto-censurer.
Comparaison n’est pas raison. Mais combien pensent, à tort, qu’ils ne peuvent vivre les méthodes naturelles, parce qu’ils perçoivent des pressions médicales, spirituelles, économiques? Ces pressions ne sont d’ailleurs pas des interdictions formelles. Aujourd’hui nous devons nous entraider, pasteurs et fidèles, à percevoir les pressions qui inhibent la vie sacramentelle.
Saint Louis Marie Grignon de Montfort a vécu une épidémie lors de son séminaire à Paris. Il répond alors aux besoins des pauvres et des malades, jusqu’à être expulsé de la Salpêtrière. Son zèle apostolique va alors le tourner vers les missions populaires, là où on manque de prêtres. Il parcourt ainsi l’Ouest de la France pour y vivifier la foi en profondeur. Pour toucher les personnes qui viennent moins à l’église, il écrit des cantiques sur des chants populaires. Les historiens disent que son action apostolique a préparé la réaction des laïcs vendéens en faveur de la défense des prêtres. Aujourd’hui, alors que des gens font des heures de queues à l’ouverture des drive de McDonald’s et que la jeunesse réclame à ses parents des UberEats… j’interroge sur la possibilité des Uber-Christ à partir du 11 mai, et de prendre comme patron pour ce type d’activité Saint Louis Marie Grignon de Montfort ? Rappelons enfin que saint Jean-Paul II, à de nombreuses reprises et dans sa devise épiscopale, témoignait de tout ce qu’il devait à ce saint français.
Sainte Jeanne Beretta Molla a accepté sa responsabilité vis à vis de son enfant à naître. Malgré les pressions médicales, sociales et familiales, elle a choisi de prendre le risque de se faire opérer de son fibrome tout en gardant son enfant. Le pape Paul VI a parlé pour elle d’ « immolation préméditée ». Elle a pu donner naissance à son enfant avant d’offrir sa vie à 39 ans. Elle a été canonisée par saint Jean-Paul II.
Saints du jour, patrons de la responsabilité de l’état de vie, Saint Louis-Marie Grignon de Montfort et Sainte Jeanne Beretta Molla priez pour nous, aujourd’hui et demain !
Gabrielle Vialla
Grand concours 25 ans d’Evangelium Vitae
Participez à notre grand concours en l’honneur de Evangelium Vitae et de son auteur, saint Jean-Paul II !
Réponses et informations à cette adresse
Une mise à l’épreuve
« Donnez-leur vous-mêmes à manger » : évangile de la multiplication des pains, en Matthieu 14, 16 et Luc 9,13
« Il disait cela pour le mettre à l’épreuve » : évangile du jour, cette fois en Jean 6, 6
Voilà un appel à la conscience individuelle de chaque pasteur. Une mise à l’épreuve…
Est-il juste de tout attendre du gouvernement ?
Quand faut il percevoir l’incohérence et le glissement moral de la situation ?
2 exemples, un actuel, l’autre un cas d’école :
- Un grand restaurant gastronomique ne pouvant ré-ouvrir mais ayant pris des mesures sanitaires, a choisi d’offrir aux soignants de bons repas mais aussi de mettre en place de la vente à emporter pour les personnes les plus proches.
- Un riche propriétaire ayant un garde-manger plein, étant dans l’incapacité politique de nourrir toute sa région affamée, doit-il refuser de soulager les quelques pauvres qui viennent lui demander un peu de pain par la fenêtre ?
« Les fils de ce monde sont plus habiles entre eux que les fils de la lumière » (Lc 16,8).
Gabrielle Vialla, mère de famille



















