Abbaye Notre-Dame de Triors
25 janvier 2020
Conférence d’un moine bénédictin
J’ai choisi ce titre en référence, bien sûr, à un ouvrage célèbre… mais aussi parce que le mot confidence exprime bien le ton que je voudrais donner à cette rencontre, et ma joie de me retrouver parmi vous aujourd’hui, en présence d’un petit troupeau que je considère vraiment comme privilégié, aimé du Seigneur. Et puis, je vous l’avoue, le pluriel de ce mot Confidences me rassure parce qu’il me permet de remédier au défaut de structure de mon propos, dû à un manque de temps dans la préparation. Pas de plan précis, donc, pas de parties bien délimitées, mais un propos à thèmes multiples, des confidences en vrac, un petit bouquet de simples réflexions sur un sujet qui me tient à cœur.
C’est la troisième fois en trois ans, que l’abbaye de Triors est associée plus étroitement à des événements Billings : il y a eu la journée prêtres, le 12 juin 2017 ; puis la journée Humanæ vitæ, le 8 septembre 2018, ouverte à tous ; et maintenant cette journée destinée principalement aux couples moniteurs. Stéphanie m’a demandé de dire en quelques mots ce que cela implique pour les moines de Triors. J’y reviendrai plus loin.
Le thème de la journée, c’est Prendre de la hauteur… Je voudrais réfléchir avec vous d’abord sur ce thème. Vous êtes venus dans un monastère, c’est-à-dire dans un lieu où, en principe, on ne fait que chercher la présence de Dieu. Saint Benoît (comme Jésus lui-même semble-t-il) aime les montagnes, et les monastères bénédictins (à commencer par le Mont Cassin, édifié par Saint Benoît lui-même) sont souvent construits sur des hauteurs, une façon de signifier que la vie spirituelle, la vie contemplative, qui est en chacun de nous, est la réalité la plus noble, la plus haute de notre existence humaine, que la présence de Dieu dans notre vie est un sommet à conquérir, non comme une évidence facile à posséder, mais comme le fruit d’une quête ardente et incessante. Et pour vous qui avez sans doute l’impression de vivre trop souvent dans la plaine des multiples soucis terrestres, cette ascension vers un air plus pur, vers des perspectives plus larges et plus belles, signifie aussi un retour à l’intérieur de vous-même, dans votre relation avec Dieu, en tant que personne individuelle et aussi en tant que couple. Cette journée qui vous invite à prendre de la hauteur, est une occasion pour vous de faire le point sur votre âme, de faire le point sur votre vie de couple, faire le point sur votre chasteté, sur votre fécondité, ad intra et ad extra. Ce n’est pas seulement aujourd’hui, bien sûr, qu’il vous est donné de prendre de la hauteur. D’une certaine manière, chaque dimanche, sanctifié par l’Eucharistie, représente un sommet dans vos semaines de labeur, un moment privilégié pour prendre de la hauteur.Lire plus
La messe possède tout ce qu’il faut pour nourrir votre vie conjugale, familiale, sociale, aussi bien que votre vie spirituelle personnelle. Sacrement du sacrifice de l’alliance nouvelle et éternelle, c’est tout naturellement qu’elle utilise, pour vous les communiquer et vous en faire vivre, les langages de l’Amour : le langage du pardon, le langage des mots, le langage des gestes, le langage du silence, le langage de la joie contagieuse : Ite missa est. Ces différents langages sont diffusés dans les rites de la messe et comme concentrés dans le rite de la consécration. À bien y regarder, la messe ne dure pas assez longtemps, c’est évident : une heure dans votre semaine, une heure sur 168 heures, soit moins d’1 % de votre temps hebdomadaire, à supposer qu’on soit à l’heure, et sans compter les minutes passées à maintenir les enfants en place, à se perdre en distractions, ou en concessions faites à l’esprit critique du français moyen qui n’apprécie pas le sermon, le chant de l’alléluia ou le baiser de paix, et qui ressasse… On pourrait se demander ce qui peut bien rester : peut-être, dans le meilleur des cas, un vague ressaisissement au moment de la consécration et de la communion. Et on sort de l’église et on se retrouve sur le parvis, mais en général, pas pour discuter des grâces reçues… Je ne dis pas cela pour vous accabler. Tant mieux si cela fait prendre conscience d’un effort de présence à renouveler sans cesse. Tant mieux si cela vous stimule à faire la part de l’impuissance, de la fatigue, de la fragilité, et celle de la mauvaise volonté ou de la lâcheté, pour réduire au maximum cette dernière. Mais je dis cela au contraire pour vous rassurer, vous réconforter : si le Seigneur mesurait ses dons à notre attention au mystère et à la qualité de notre désir, reconnaissons tous que nous serions bien peu de choses et que la vie chrétienne ne voudrait presque rien dire. L’Eucharistie est un don de Dieu qui nous préviendra et nous dépassera toujours, quelle que soit la « sublimité » de nos dispositions. Mon but est de vous renouveler dans la perception de tout l’amour qui est inclus dans ce don du Seigneur, ce don qui est la source de votre propre don, dans votre vie personnelle, conjugale, familiale, comme dans votre apostolat. Car il n’y a en vérité que l’amour qui peut solliciter une réponse d’amour et porter à l’amour.
Mère Térésa recommandait à un prêtre : « Considérez chacune de vos messes comme si elle était la première ou la dernière, ou la seule ». C’est un conseil qui vaut aussi pour tout fidèle. Et cela rejoint la vérité théologique sur la messe. Il n’y a effectivement qu’une seule messe, c’est celle du Cénacle, et elle est le sacrement, le signe du sacrifice de la croix. Il n’y a qu’une seule messe comme il n’y a qu’un seul sacrifice, un seul acte d’amour, comme une réserve sans fond. La multiplication des messes dans l’espace et dans le temps n’est que la face humaine, visible, temporelle, miséricordieuse, de la réalité. Le Cardinal Journet explique qu’à travers la multitude des messes, ce sont les générations qui se succèdent et viennent passer sous la croix pour recueillir le sang rédempteur de l’unique sacrifice.
Il n’y a qu’une messe, un seul don, un seul acte d’amour, décisif, définitif. Les messes sont très nombreuses dans une vie de chrétien, et il y a là une miséricorde de la part de Dieu, qui nous permet de progresser lentement dans la perception du mystère, de nous reprendre après une chute, de nous laisser peu à peu transformer par le don qui nous est accordé ; mais nous avons besoin aussi de croire que chaque messe est un rendez-vous unique avec le Christ en croix, un contact réel, physique, avec son corps et avec son sang, le moment privilégié de la relation personnelle entre Dieu et nous, dans un acte d’amour mutuel et le don réciproque de deux vies : la sienne et la nôtre. La messe, c’est un point de fusion entre la vie de Jésus qui est comme ramassée, résumée, concentrée dans cet acte culminant de son amour, et ma vie qui elle aussi est invitée à se recueillir, à se condenser dans la réception de l’Eucharistie. Une transfusion d’amour.
Prendre de la hauteur en allant au cœur de votre vie chrétienne.
Cette heure de la semaine (que l’on peut d’ailleurs multiplier par sept…) est la plus importante de la vie d’un chrétien. En être persuadé suppose une vue de foi vive sur la réalité extérieure parfois bien pauvre et bien peu significative de telle ou telle célébration. Mais c’est précisément cette vue de foi qui nous permet d’aller au-delà des aspects déplaisants de telle ou telle célébration, des innovations plus ou moins heureuses de tel ou tel célébrant. On va à la messe, non pas pour militer en faveur d’un rite ou contre un chant ou un geste liturgique qui ne convient pas ; on va à la messe pour plonger notre vie dans la vie de Dieu, pour procéder à cet admirable échange dont parle la liturgie de Noël et qui mérite toute notre attention. Normalement, la célébration liturgique est ordonnée à cette communion mystique, son rôle est de nous y préparer, non de nous en distraire. Faire de l’Eucharistie une réalité seulement sociale et festive, c’est l’amputer de sa dimension la plus essentielle, sa dimension verticale, théologale, c’est risquer de manquer le rendez-vous de l’alliance, le rendez-vous d’amour auquel le Christ a convié son épouse, l’Église, et chacune de nos âmes.
Prendre de la hauteur, donc, dans la fréquentation du sacrement nuptial de l’Eucharistie, le sacrement de l’amour du Christ pour son Église, votre sacrement à un titre tout spécial, chers couples. Et puis, plus largement encore, c’est l’oraison, si possible quotidienne, qui peut vous permettre d’aller d’une Eucharistie à l’autre en demeurant dans un climat de ferveur. L’oraison est un moyen d’autant plus nécessaire à votre vie spirituelle que vous vivez dans un monde d’où le Seigneur est exclu, consciemment ou inconsciemment. À chaque fois que vous vous retirez dans votre chambre ou dans votre coin prière, même s’il est au sous-sol…, vous prenez de la hauteur, c’est-à-dire que vous vous mettez en présence de la réalité essentielle de votre existence : l’Amour qui vous a créé(e), l’Amour qui vous a sauvé(e), l’Amour qui vous fait vivre, la Trinité tout entière.
Le but de l’oraison, c’est de diffuser la présence de Dieu dans toute votre journée. L’oraison apparaît ainsi comme le prolongement de la communion eucharistique. Plus Dieu sera présent dans votre vie, plus vous serez attentif(ve) à vous-même et aux autres, plus votre vie sera pure, préoccupée du bien, lucide sur ce bien à réaliser. L’adage des anciens le dit bien : nemo peccat videns Deum : on ne pèche pas quand on est sous le regard de Dieu. Et je crois que cela concerne tout spécialement la vertu de chasteté qui ne consiste pas seulement à refréner et modérer les passions, à se maîtriser soi-même, ce qui est bien certainement un fruit de l’oraison et de la présence de Dieu qu’elle engendre, mais aussi à savoir se donner positivement et généreusement, pour le bien du conjoint, et ce malgré un manque éventuel de désir sensible. La grâce du sourire, pas dans la facilité mais dans la persévérance et jusque dans les difficultés, c’est aussi un fruit de l’oraison, un fruit évangélique. La joie, puisée à sa source pure, est missionnaire, et je suis témoin de cette belle joie qui vous anime. J’en rends grâce au Seigneur.
Grâce à l’oraison, simple acte de présence fidèle vivifiée par l’amour, et rien de plus, je me reconnais pour ce que je suis : un pauvre pécheur, mendiant de la grâce dans toutes les avenues de ma vie ; je m’ouvre à mon prochain (et pour vous tout spécialement mon conjoint) que j’apprends à recevoir avec bienveillance, à regarder avec les yeux de Dieu, au-delà de ses défauts qui peuvent m’obnubiler tant que je reste le nez dans le guidon ; je me connecte à la source de mon activité, personnelle ou conjugale, familiale ou sociale. S’il vous fallait repartir d’ici avec une résolution, prise ou renouvelée, ce serait une bonne chose de ne pas oublier le thème de cette journée qui, retenu comme une petite devise, vous aidera efficacement même dans vos activités de plaine, je dirais de zone industrielle ou industrieuse.
Et puis, je voudrais relier ce thème de notre réunion à celui de la journée prêtres organisée à Paris et qui aura lieu le 16 mars prochain. Nous devons construire tous ensemble une nouvelle culture de la vie (Evangelium vitæ, 25 mars 1995, n°95).
C’est le mot ensemble que je voudrais retenir ici. Il nous implique vous et moi, il unit tout particulièrement les couples et les prêtres dans une même orientation pastorale.
Humanæ vitæ parle explicitement d’un apostolat des prêtres envers les époux :
« Chers fils prêtres, qui êtes par vocation les conseillers et les guides spirituels des personnes et des foyers, […] Au milieu de leurs difficultés, que les époux retrouvent toujours, dans la parole et dans le cœur du prêtre, l’écho de la voix et de l’amour du Rédempteur. » (HV, n° 28)
L’encyclique parle également, et avec quel enthousiasme, si encourageant pour vous, d’un apostolat nouveau entre foyers :
« Parmi les fruits qui proviennent d’un généreux effort de fidélité à la loi divine, l’un des plus précieux est que les conjoints eux-mêmes éprouvent souvent le désir de communiquer à d’autres leur expérience. Ainsi vient s’insérer dans le vaste cadre de la vocation des laïcs une nouvelle et très remarquable forme de l’apostolat du semblable par le semblable : ce sont les foyers eux-mêmes qui se font apôtres et guides d’autres foyers. C’est là sans conteste, parmi tant de formes d’apostolat, une de celles qui apparaissent aujourd’hui les plus opportunes » (HV, n° 26)
Soyez bénis de répondre présents, comme vous le faites, à l’appel empressé de l’Église, pour donner ce que vous avez reçu, avec les talents qui sont les vôtres, et accueillir les personnes qui vous sollicitent, avec le plus de spontanéité et de bienveillance possibles. Vivant dans la chasteté conjugale, avec joie et fidélité, vous pouvez attirer les couples et leur communiquer le désir d’une sexualité pleinement conforme au dessein créateur.
Mais Humanæ vitæ ne parle pas explicitement du rôle que vous êtes appelés à jouer aujourd’hui en face des prêtres. Cela devient pourtant, je crois, une dimension importante et urgente de votre apostolat, parfois consolante, parfois douloureuse. Il s’agit pour vous d’aider les prêtres dans leur discernement, de prolonger leur apostolat sans confondre le vôtre avec le leur ; mais de plus en plus aussi, vous êtes amenés à agir directement auprès des prêtres eux-mêmes, pour les sensibiliser, les avertir, éventuellement les gronder, leur rappeler que ce n’est pas à eux de faire votre travail, les protéger, etc. Et ils ne se laissent pas toujours faire…
Il est clair pourtant que les prêtres, aujourd’hui, ont grand besoin de vous. Besoin de votre exemple et de votre fidélité, c’est-à-dire de votre chasteté conjugale comme de votre disponibilité au service de la vie. Un arbre isolé ne résiste pas à la tempête, mais s’il est entouré d’autres arbres solides, il tient bon. La tempête a soufflé après Vatican II, et elle souffle encore avec violence : de nombreux prêtres, en quantité effrayante, ont renoncé à leur sacerdoce. Et ceux qui restent sont peu nombreux, pas forcément meilleurs que les autres, souvent incomplètement formés, et confrontés à une société de plus en plus impitoyable qui se durcit contre eux dans son éloignement de la foi.
Les prêtres ont besoin de votre expérience dans ce domaine de la vie qui est vous est propre, ils ont besoin de votre discernement, dans des situations qui les sollicitent et face auxquelles ils sont souvent démunis. Parce que, même s’ils vivent dans le monde, ils ne connaissent pas expérimentalement la vie conjugale, ce qui est d’ailleurs la garantie de leur don spécifique au service de l’Église. Au séminaire, en étudiant la morale, le prêtre a appris à résoudre ce qu’on appelle des cas d’école. En réalité, on ne résout pas un cas d’école comme on résout une équation, de façon froide et rigide ; ou pour mieux dire, le cas d’école, en réalité, n’existe pas. Ce qui existe, c’est une personne vivante, un visage, un prénom, une histoire, un cœur, des larmes, une souffrance, une croix, un sourire, une espérance. Tout cela ne peut être enfermé dans une case, et tout cela rend immensément délicats l’accompagnement spirituel, les conseils à donner, les décisions à prendre. Même bien intentionné, même bien formé en théorie, le prêtre est souvent seul face à des situations complexes, et il risque de se tromper. À l’inverse, le manque de formation peut entraîner un certain laxisme devant des situations dont on ne perçoit pas l’exigence cachée. C’est le concret de la personne dans sa profondeur qui doit être pris en compte, pour le bien de son âme. Alors le recours à un moniteur ou une monitrice Billings, peut devenir pour le prêtre un véritable secours. Et pour qu’il ait l’idée d’aller vous chercher, pour un conseil, pour vous envoyer un couple, le meilleur moyen est sûrement d’en faire un ami. Voilà une autre résolution, peut-être, à prendre en repartant d’ici ce soir : aller à la rencontre d’un ou plusieurs prêtres que vous connaissez, les inviter, les sensibiliser, vous rendre disponibles. Cela suppose parfois de la persévérance, parce que l’espèce sacerdotale ne se laisse pas toujours facilement apprivoiser… Les prêtres sont comme vous, trop peu nombreux, ils sont débordés, jusqu’à ne plus voir les priorités profondes de leur ministère. Mais cela peut devenir source d’une belle réciprocité, pour le Royaume, pour construire ensemble une nouvelle culture de la vie.
En vous disant cela, je pense à l’amitié qui a uni le Pape Jean-Paul II et le Professeur Jérôme Lejeune. Il est incontestable que ce dernier a puisé auprès du Saint Père la force nécessaire pour défendre la vie comme il l’a fait. Rencontrer Jean-Paul II a été pour lui une grâce inespérée. Mais il est sûr, aussi, que Jérôme Lejeune a apporté quelque chose au Pape de la Famille. En témoigne éloquemment la lettre que le Saint Père a écrite au lendemain de la mort de son ami, son « frère Jérôme », comme il le dit à deux reprises, le jour de Pâques, 3 avril 1994.
« Nous nous trouvons aujourd’hui devant la mort d’un grand chrétien du XXème siècle, d’un homme pour qui la défense de la vie est devenue un apostolat. Il est clair que, dans la situation actuelle du monde, cette forme d’apostolat des laïcs est particulièrement nécessaire. Nous désirons remercier Dieu aujourd’hui, lui l’Auteur de la vie, de tout ce que fut pour nous le Professeur Lejeune, de tout ce qu’il a fait pour défendre et pour promouvoir la dignité de la vie humaine. »
Nous sommes ici en présence de deux géants, qui se sont rencontrés providentiellement pour mener le combat de l’Église à l’échelle internationale. Mais je vois en eux la rencontre plus profonde des dons du Saint-Esprit, en particulier le don de science et le don de sagesse, avec en arrière-plan leur piété commune et tout particulièrement leur dévotion mariale, et leur crainte de Dieu. Ils ont ainsi pu échanger leurs conseils, communier à une même force, ouvrir leur âme, l’un et l’autre, à l’intelligence profonde de la vie et du plan Créateur.
« Les sept dons du Saint-Esprit, nous dit le Catéchisme de l’Église Catholique, « complètent et mènent à leur perfection les vertus de ceux qui les reçoivent. Ils rendent les fidèles dociles à obéir avec promptitude aux inspirations divines. » (CEC, n° 1831)
L’action commune de Jean-Paul II et de Jérôme Lejeune reste exceptionnelle, et non exclusive d’ailleurs. Mais je considère comme une grande grâce, pour tout prêtre, de pouvoir rencontrer en vous, sur son chemin, un serviteur ou une servante de la vie. Alors merci de voir dans les prêtres une portion de votre troupeau à ne pas négliger.
Et je voudrais dire ici un mot des relations qui se sont tissées depuis trois ans, entre le CBF et l’abbaye de Triors. D’abord je précise que la révolution ne s’est pas introduite au monastère : la vie continue, cela veut dire que vous pouvez continuer vous aussi à venir nous envahir discrètement comme vous le faites. Mais je pense que les quelques cinq ou six moines prêtres qui sont appelés à faire de l’accompagnement spirituel, ont réellement acquis quelque chose en vous fréquentant.
Depuis ces rencontres, il est devenu beaucoup plus évident et instinctif pour nous de vous envoyer en toute confiance des fiancés, des couples en difficulté, et cette collaboration pourrait encore s’intensifier, certainement.
Nous avons tous, en communauté, regardé le témoignage de Gabrielle Vialla après la journée prêtres du mois de juin 2017. C’est d’ailleurs cela qui m’a déterminé à lui écrire, avec l’accord du Père Abbé, pour la remercier, lui suggérer en particulier d’écrire quelque chose pour les 15-20 ans, sur le cycle féminin, quelque chose qui soit, pour les garçons notamment, une antidote au fléau affolant de la pornographie. Elle était alors en train d’écrire Recevoir le Féminin. Mais son livre sur le cycle va paraître incessamment.
Entre parenthèses, il faut saluer aussi le livre de Monseigneur Aupetit qui vient de paraître sur Humanæ vitæ. C’est si encourageant de voir un prélat français haut placé prendre position ouvertement et avec compétence sur ces sujets brûlants !
J’ai personnellement regardé par la suite bon nombre de témoignages vidéos de couples de moniteurs, et à chaque fois j’ai été frappé de la justesse et de la profonde vérité qui émanent de ces témoignages de couples, dans leur riche et même amusante diversité. C’est réconfortant pour un moine de se sentir rejoint quelque part, profondément, dans la communion à un idéal vécu de chasteté qui trouve sa source dans la chasteté de la Sainte Famille de Nazareth. Ce que le moine ou le prêtre s’efforce de vivre dans le don total de sa solitude, vous cherchez à le vivre, vous aussi, dans le don total de votre conjugalité. Et c’est bien source de joie, une joie qui est fruit du Saint-Esprit, et qui évoque et invoque tellement la béatitude éternelle !
« Les fruits de l’Esprit sont des perfections que forme en nous le Saint-Esprit comme des prémices de la gloire éternelle. La tradition de l’Église en énumère douze : charité, joie, paix, patience, longanimité, bonté, bénignité, mansuétude, fidélité, modestie, continence, chasteté » (selon l’énumération de Galates 5, 22-23 d’après la vulgate latine). (CEC, n° 1832)
Puissions-nous tous goûter ensemble, déjà ici bas, ces fruits de l’Esprit qui sont tous englobés dans la charité, et couronnés par la chasteté.
Une dernière confidence qui va peut-être vous paraître étrange : ceux qui me connaissent un peu savent qu’il y a un autre sujet qui m’intéresse beaucoup, c’est le chant grégorien. Or je fais souvent le rapprochement entre la Régulation Naturelle des Naissances et le chant grégorien, ce qui me donne d’ailleurs largement l’occasion de penser à vous, parce que du chant grégorien, j’en ingurgite quand même à très forte dose chaque jour… vous êtes donc bien présents, je vous assure, dans mes vocalises quotidiennes. Pourquoi ce rapprochement entre RNN et CG ? Tous les deux sont au service de la vie ; tous les deux sont expressément recommandés par le Magistère de l’Église et pratiquement ignorés des foules, même dans l’Église ; tous les deux présentent plusieurs méthodes d’interprétation. La méthode rythmique de Solesmes que nous pratiquons ici, c’est un peu la méthode Billings pour vous… D’ailleurs, je définirais volontiers la liturgie comme la Régulation Surnaturelle des Naissances : celle du Christ, puis celle des saints sur le tableau ou calendrier de l’année liturgique qui connaît aussi l’alternance des saisons. La liturgie de l’Église aussi se définit par un cycle. Elle a été inaugurée par un cycle féminin, celui de la Vierge Marie qui, un jour de l’histoire, a été fécondé par l’œuvre de l’Esprit-Saint. Tout le mystère de l’Incarnation Rédemptrice, célébré par la liturgie, prend sa source dans ce cycle unique qui a aboutit à la conception virginale dans le sein de Marie, vrai chambre nuptiale au dire des Pères de l’Église, dans laquelle le Fils de Dieu s’est uni à l’humanité tout entière. Le chant grégorien est le serviteur tout dévoué et émerveillé de cette célébration liturgique. Cela fait des siècles qu’il a été inventé à cette unique fin. Il a subi bien des vicissitudes au long de son histoire, et aujourd’hui il connaît un renouveau certain. En même temps que je profite de l’occasion pour vous sensibiliser à son sujet, (on pourrait parler des heures durant de son aptitude à servir l’homme dans sa relation avec Dieu et dans sa relation avec lui-même), que sa longévité soit un encouragement pour vous. On dit que « ce que femme veut, Dieu le veut ». Cela vaut éminemment pour l’Église. Quand l’Église fait sienne une réalité, cette réalité traverse les siècles, malgré les oppositions. Humanæ vitæ vous a placés au cœur de l’Église, soyez sûrs que votre apostolat est pleinement assumé par elle et portera en vous son fruit de vie.
Je vous confie à Marie et à Joseph : qu’ils nous montrent le chemin pour aller à Jésus et par lui jusqu’au cœur du Père.