Interview de Gabrielle Vialla, au sujet de son prochain ouvrage Éduquer la conscience dès l’enfance, à paraître début 2023
• Qu’est-ce que la conscience ? Pourquoi écrire sur ce sujet ?
J’aime penser que la Providence m’a conduit avec délicatesse à ce sujet. Tout d’abord, comme mère de famille, comment ne pas être sensible à la grande responsabilité de l’éducation ? Choisir le Bien pour nos enfants, s’émerveiller du Beau en famille, former chacun à la recherche du Vrai en respectant la personnalité merveilleusement unique de chacun de nos enfants est une aventure qui implique à la fois notre conscience d’éducateur et la formation de leur conscience. À chaque étape de la croissance de nos enfants, nous rencontrons de nouveaux défis. Mon livre contient de nombreuses histoires concrètes qui illustrent cela. En parallèle de ma vie de maman, l’apostolat de la régulation naturelle des naissances m’a préparée à ce sujet. Les époux ont de redoutables cas de conscience à affronter ensemble, ou malheureusement dans la solitude. Ces sujets sont souvent traités indépendamment de l’éducation de la jeunesse, alors que l’expérience m’a montré les implications de nos choix personnels dans notre progéniture. Enfin dans ma vie personnelle et mon histoire familiale, j’ai désiré purifier en moi l’héritage spirituel reçu dans mon enfance, mon adolescence et mon jeune âge adulte. Tout bon éducateur se retrouve à un certain moment face à cette question plus ou moins difficile à résoudre de ce qu’il convient ou non de transmettre. Relire son histoire dans l’amour de la vérité c’est aussi pour moi entendre l’impératif du Christ à Le préférer à tout (Matthieu 10,37). Il est douloureux mais indispensable de lâcher les éventuelles erreurs des schémas éducatifs, afin de grandir en liberté et d’aider autrui à s’élever. Car éduquer c’est élever ! Ensuite, seulement, les parents peuvent s’effacer devant la conscience éduquée qui doit continuer à se former elle-même avec persévérance. Il n’y a véritablement qu’au terme de notre vie, du long processus que vit notre conscience, que nous pourrons vérifier notre assentiment plénier à notre Créateur, à Celui pour lequel notre cœur est fait. Notre conscience nous y prépare. Tel est son rôle ! Voici ma définition de la conscience : elle est ce qui, caché en nous, lorsqu’elle est droite et bien formée, nous prépare à connaître Dieu. Nos générations, qui sont face à une longue déchristianisation de notre pays, comme à de douloureuses révélations, doivent à mon avis redécouvrir et aspirer à la beauté de la conscience droite et bien formée. L’enjeu est essentiel autant pour la persévérance dans la foi des adultes que pour l’éducation de la jeunesse qui se construit dans un climat social souvent peu enthousiasmant. Ne craignons pas la conscience mais recevons-la comme une merveille étonnante !
• Comment la formation de la conscience est-elle indispensable à l’éducation intégrale de la personne humaine ?
La conscience nous unifie en quelque sorte, dans ce lieu et ce travail silencieux plus intime à nous-même que nous-même. La conscience est ce que la Bible désigne comme le cœur. Le saint cardinal Newman avait d’ailleurs comme devise la phrase de saint François de Sales « le Cœur parle au cœur ». On peut comprendre l’éducation intégrale comme le don gratuit de l’exemple et de la parole d’une conscience formée vis-à-vis d’une conscience qui se laisse former. Sainte Teresa de Calcutta enseignait aux supérieurs que l’on obtient plus par la douceur que par le rappel à l’obéissance. Elle était pourtant bien exigeante dans le service de la charité, mais elle savait que le meilleur moteur pour la croissance dans la vertu c’est l’amour. Aux sœurs fatiguées, elle conseillait plus de prière. Je ne pense pas que cela soit le seul conseil à donner aux parents éducateurs fatigués, mais c’est certainement un bon début. Il s’agit de commencer à ajuster sa propre conscience à celui qui seul sait Aimer.
• Quelle différence entre le sens moral et la conscience ? Quels sont les liens entre conscience et foi ?
Le sens moral, discernement et choix du bien et du mal, n’est qu’une partie restreinte de la conscience, laquelle parcourt en fait le vaste champ de toute notre existence. Réduire la conscience au seul sens moral, dans le contexte sécularisé qui est le nôtre, risque fort de mener au subjectivisme et au volontarisme, et de faire percevoir la conscience comme totalement autonome, comme une simple recherche du bien, mais en dehors de la relation de l’être avec Dieu.
Lorsqu’on choisit d’écouter sa conscience et de la former, on vit de fait un chemin de purification dans la foi – pour ceux qui ont reçu ce don – ou une préparation à ce don par une vie droite. L’Auteur de la nature est aussi celui de la grâce. Il nous a créé corps, âme et esprit, doué d’intelligence et de volonté. Comment il a tout prévu dans Son Amour, sa pédagogie : voilà ce qui me passionne. Au cœur de cette pédagogie, il a placé en nous, un lieu, un temple où Il nous parle, quand nous apprenons à L’écouter. Dans l’intime de la conscience, chacun est face à son Créateur. Pour certains il reste le grand Inconnu, pour d’autres il est caché derrière le voile de cette vie présente, mais il est là !
• Comment réveiller notre conscience ? Pourquoi n’est-ce pas inné ?
Dieu n’a pas voulu pour nous une conscience prête à l’emploi. C’est un fait ! De même qu’il a permis que nous vivions une croissance corporelle de notre conception à notre taille adulte, à notre maturité cérébrale qui intervient plus tardivement encore, il a permis que notre vie morale et spirituelle nécessite aussi une éducation. Rien n’est uniforme. Nous pouvons vivre des progrès, des régressions, des lassitudes, des endurcissements aussi. Notre éducation, ou son absence, a comporté des forces mais aussi d’inévitables déformations. Nous avons la possibilité de refuser le bien, de ne pas rechercher la vérité. Mais Dieu nous a aussi donné de grands secours avec l’Église, ses sacrements, ses témoins, Sa Parole qui nous nourrit. Nous pouvons contempler comment tout ceci s’articule et se conjugue pour notre bien.
• Devons-nous redécouvrir la puissance de l’examen de conscience dans notre croissance personnelle ?
L’examen de conscience est une tradition précieuse et belle de l’Église. Il est un prélude indispensable à la réception du sacrement de la réconciliation puisque nous y allons pour confesser nos péchés. Les moines, moniales et religieux le pratiquent chaque jour. Il serait bon qu’il soit redécouvert dans les familles. Mais il nous faut aussi admettre que certains usages rigides ont pu décourager voire repousser certaines personnes. Nous devons toujours bien rappeler à nos enfants que l’examen de conscience se vit dans une relation d’amour et de confiance en la bonté du Père Céleste, en l’assistance de l’Esprit Saint, le regard fixé sur la personne de Jésus. C’est une rencontre personnelle de la conscience avec Dieu, qui se nourrit de la lecture assidue des évangiles. Les éducateurs ou parents ne doivent jamais profiter de l’examen de conscience pour chercher à obtenir tel ou tel comportement d’un enfant.
• Comment accompagner les jeunes qui sont surexposés aux images et aux vidéos qui déforment et détruisent la conscience ?
J’aborde ce sujet dans mon ouvrage, mais je commence la formation de la conscience dès la toute petite enfance. La formation de la conscience doit commencer au berceau, et nous ne devons pas nous-même y renoncer à l’âge adulte, ni nous relâcher sous prétexte d’une certaine fidélité acquise. L’écoute persévérante de sa conscience est contagieuse pour autrui. Les jeunes sont sensibles aux éducateurs qui se convertissent eux-mêmes, en particulier – puisque telle est la question – dans leurs rapports aux écrans, à la chasteté.