Le droit de vote pour la femme au synode : une réponse à l’éclipse du féminin ?
La baisse dramatique des vocations sacerdotales inquiète fortement l’institution. Tout le monde le sait et explique telle ou telle décision concernant les fidèles laïcs hommes ou femmes à l’aune de ce constat.
Mais il est un autre problème de fond qui lui, reste très largement sous-estimé : qu’en est-il de la disparition des signes de ce qui est spécifiquement féminin, chez les catholiques occidentaux ? Qui s’alarme aujourd’hui de l’effacement du féminin, bien réel, et mal compensé par un discours sur la « place des femmes » ? Un petit et rapide bilan s’impose.
Tout d’abord, il faut rappeler que l’un des premiers facteurs de l’éclipse du féminin est le recours généralisé à la contraception hormonale, voire à l’avortement. Aujourd’hui, le cycle féminin est ainsi gommé chez une majorité de femmes pratiquantes. Les répercussions relationnelles et spirituelles de cet état de fait, pourtant prophétisées par Paul VI dans Humanae vitae, n’ont été que rarement mises en lumière. Premièrement, le recours massif aux hormones par la majorité des femmes efface chez elles la richesse (psychologique, physiologique, spirituelle) induite par les variations naturelles du cycle[1], et qui fait leur spécificité par rapport à l’homme. Deuxièmement, et c’est en partie un corollaire du premier point, la baisse de la natalité entraîne dans la majorité des paroisses occidentales une démographie vieillissante, avec une disparition des signes visibles de la maternité que sont la grossesse, et l’allaitement.
Ensuite, il suffit de se replonger dans un bon film avec Louis de Funès, ou de regarder les photos « d’époque » dans les sanctuaires mariaux : ces témoignages d’un passé qui n’est pourtant pas si lointain nous rappellent cruellement le départ des religieuses en habit. Une simple réplique du gendarme à St Tropez illustre encore le poids éducatif et social des fameuses « sœurs » dans les années soixante : « Vous priez mon fils ? – Ben non… euh… oui… que Dieu nous ait en sa sainte protection ! »
Il est important de rappeler ces vérités, car en regard, d’autres réalités peuvent nous donner le sentiment exactement inverse, à savoir que les femmes sont bien présentes, voire trop présentes. Aujourd’hui, les assemblées dominicales sont davantage composées de femmes que d’hommes. Les conseils paroissiaux sont majoritairement féminins. Les services dans les paroisses sont le plus souvent assurés par les femmes. Les contributions et la participation effectives des femmes sont, au moins, aussi importantes que dans les années soixante. Certains y voient une féminisation. Mais cette situation n’est pas exempte de tensions. Le besoin de reconnaissance des dames s’en trouve augmenté. Beaucoup de pasteurs souffrent de ne travailler pratiquement qu’avec des femmes. Un cercle vicieux s’installe, entre revendication et aigreur du côté féminin, rejet silencieux et culpabilité du côté masculin ecclésial. Non seulement, cela ne corrige en rien la perte du féminin que nous évoquions plus haut, mais cela empêche la prise de conscience. Il faut pourtant le dire clairement : il n’y a rien de spécifiquement « féminin » dans ces engagements paroissiaux ; rien d’autre que le fait que c’est, basiquement, une femme qui exécute tel ou tel rôle ou fonction. Que les paroisses comptent de très nombreuses femmes qui tiennent des postes n’aide pas tout-un-chacun à comprendre que peu de femmes reçoivent leur vocation et leur place non seulement comme une grâce et un don insigne – ce qui est déjà beaucoup – mais aussi comme spécifique et irremplaçable. En particulier par la gratuité d’une féminité et d’une maternité plus chronophage et énergivore que ne le sont les efficaces masculinité et paternité. Ce qui dans la vocation de la femme est unique et indispensable pour la vitalité de la foi, s’amenuise, s’évanouit, en bien des endroits[2].
Quelques réactions au manifeste sur la vocation du féminin m’ont rappelé à quel point les femmes, dans l’institution catholique, s’estiment peu. Certaines se sentent même humiliées. Quelques-unes m’ont parlé de corvées, de nécessaire rééquilibrage entre hommes et femmes. On m’a montré à quel point il fallait valoriser les contributions des femmes, aussi douées que les hommes. Dans ma naïveté, je présumais que la dignité de la femme était égale à celle de l’homme, que la contribution indéfectible de la femme dans la propagation de la foi, au sein de l’Église, depuis l’Évangile était une lapalissade. Que nenni. Dire que la femme contribue, participe : voilà l’urgence.
Dans ce contexte, le droit de vote de l’une d’entre elles au synode est énoncé comme la nouvelle « bonne nouvelle ». On découvre que la femme est capable. Le fait qu’on y voit une évolution nécessaire, presque une « révélation », est significatif du malaise. Jusque pour l’intéressée elle-même. Sr Nathalie Becquart déclare, ainsi, immédiatement après sa nomination comme sous-secrétaire au synode : « Cela tombe sur moi mais je le reçois aussi comme un signe de confiance pour les femmes dans l’Église. » Le sous-entendu est terriblement méprisant pour l’institution. Cela consonne avec les autres déclarations lues ici ou là qui vantent une porte ouverte, un progrès. J’y vois, pour ma part, un consensus pour répondre à la supposée misogynie passée de l’institution. C’est peut-être davantage l’aveu d’une humiliante condescendance actuelle. En effet, s’il fallait, comme certaines l’exigent, que les femmes soient représentées par une femme, que serait une voix face à des centaines d’autres voix ? Mais bien plus grave, une grande confusion entache la foi elle-même. Rappelons que le Père Céleste a fait tellement confiance à la femme, qu’Il lui a confié son propre Fils à l’état de première cellule et que le Ciel et notre Salut furent suspendus au oui d’une jeune fille. On peut continuer longuement avec l’Évangile, puis l’histoire de l’Église… jusqu’au pape François lui-même qui a institué la fête de Marie, mère de l’Église, réaffirmant ainsi ce que la hiérarchie ecclésiale masculine doit à la femme. On pourra faire tous les aggiornamentos que l’on voudra, il restera pour nos contemporains un point d’achoppement : Dieu a choisi d’envoyer son propre Fils, un homme, pour sauver la femme (et l’homme certes).
Notre époque est profondément ébranlée par son rejet de l’anthropologie biblique. L’Église, à l’instar de la famille (église domestique), souffre des profondes fragilités relationnelles entre les hommes et les femmes. Les pasteurs comme les fidèles laïcs recherchent confusément une altérité constructive et une effective complémentarité de l’homme et de la femme. Oui l’éclipse du féminin est cruelle. On tâche d’y remédier, mais dans une grande méprise du réel besoin.
De même qu’à la faveur de la covid 19, nous prenons conscience que la vie nue n’est pas la plénitude de la vie, ni le désir d’une personne unifiée corps-âme-esprit, de même nous avons à découvrir que la complémentarité de l’homme et de la femme, si elle suppose la différence physiologique, ne s’y réduit pas. Promouvoir une femme, parce que femme, ne garantit pas la fécondité intellectuelle, spirituelle liée au féminin. C’est à partir de l’intériorité, de l’intime de l’être seulement, que les répercussions de la complémentarité effective entre féminin et masculin s’intègrent, en vue d’une admirable fécondité. Cela n’a rien d’automatique[3]. Il nous faut choisir d’être avant de faire, de se recevoir de Dieu pour se donner. Les participations des femmes ne compenseront jamais la perte du sens du féminin dans la foi. Ceci fut admirablement décrit par le Cardinal Ratzinger : « La figure de la femme est indispensable à la cohérence de la foi biblique[4] ». Il convient de recevoir dans cette phrase lumineuse que c’est bien la figure de la femme (et non les contributions des femmes) qui est indispensable.
Notre époque ne laisse aux catholiques qu’une seule alternative : ou nous serons à la remorque des démocraties modernes paritaires, ou nous serons prophétiques. Nous pouvons nous perdre dans la confusion de l’autoréférence des choix individuels, jusqu’à l’apostasie, ou bien choisir d’entrer dans une plus grande gratitude de l’homme et de la femme créés à l’image de Dieu pour une vie en plénitude !
Gabrielle Vialla
[1] On peut lire mon ouvrage Bien Vivre le Cycle Féminin, éd. Artège, 2020.
[2] Sur la place de la femme dans la société et dans l’Église, on peut lire mon ouvrage Recevoir le Féminin, éd. Fécondité, 2018
[3] Voilà le travail de la chasteté. J’ai écrit un livre sur ce sujet : la Chasteté, éd. Artège, 2020.
[4] Cardinal Joseph Ratzinger, La fille de Sion, éd. Parole et Silence, 2002, p. 43.
Appel à approfondir la vocation de la femme
À l’occasion de la parution du Motu Proprio Spiritus Domini, nous, femmes catholiques, désirons faire reconnaître et aimer la beauté de notre vocation spécifique.
La question de la présence de la femme dans le sanctuaire, chez certains l’obstination pour le mariage des prêtres ou la prêtrise de la femme sont, pour nous, les symptômes d’une grave crise liturgique enracinée dans une crise anthropologique plus profonde encore sur la complémentarité de l’homme et de la femme. Tout catholique, quels que soient son état de vie ou son attachement liturgique, devrait se sentir concerné par ce profond malaise.
C’est à l’heure où l’on prend conscience du danger du cléricalisme, que paradoxalement on oublie que la femme est divinement écartée de la hiérarchie ecclésiale pour le bien de l’Église tout entière. Jamais jusqu’à aujourd’hui, la vocation de la femme n’a été représentée de façon si caricaturale, si appauvrie.
La tradition de laisser les femmes à l’écart de l’autel est très ancienne, on peut même dire originelle[1]; elle est présente aussi bien en Orient qu’en Occident[2]. Le christianisme qui a toujours enseigné l’égale dignité de l’homme et de la femme tout en maintenant l’exclusion des femmes du sacerdoce ministériel rappelle à tout être humain, masculin ou féminin, que la mesure de sa vocation est l’union à Dieu. Bien loin de diminuer la femme, l’Église dont la hiérarchie est masculine se présente ainsi comme l’Épouse.
Déjà dans l’Ancienne Alliance, Dieu passe par la femme de façon inespérée comme dans les livres de Judith ou d’Esther, pour délivrer son peuple. Par l’Incarnation, Dieu nous donne son propre Fils par la Vierge Marie. La pure réponse existe chez une créature : en elle, l’Amour de Dieu trouve sa demeure irrévocable. Homme ou femme nous avons une dette envers ce oui féminin. À la suite de cette réponse, la femme a dans le christianisme une liberté de parole et d’action qui lui est propre. Il n’est que justice de faire mémoire de quelques illustres figures telles Catherine de Sienne, ou Jeanne d’Arc mais aussi de reconnaître les discrètes interventions féminines jusque dans nos vies personnelles.
Il est d’usage dans les familles que les femmes plaident pour la paix. Or les concessions liturgiques faites au monde présent[3] éloignent l’une de l’autre les deux formes du rite romain.
Les jeunes générations dans notre société sécularisée aspirent à un apaisement des crispations liturgiques et à une collaboration des forces vives pour l’évangélisation.
Par ailleurs la femme est éducatrice. Nous souhaitons que nos enfants trouvent des repères clairs sur leurs vocations d’homme et de femme. Les petites filles ne doivent pas être incitées à un climat de lutte et de revendications. Elles ont à être encouragées à développer et à rendre compte de leurs talents et charismes propres. Elles doivent recevoir le fait d’être femme, pour ce que cela signifie : une grâce insigne !
Quant aux garçons, ils doivent être éduqués à la crainte de Dieu, au don désintéressé de soi, au respect et à l’admiration du corps humain féminin et masculin. On redécouvre aujourd’hui pour l’épanouissement de la personnalité la nécessité de lieux d’expression propres aux uns et aux autres. Garçons et filles doivent par ailleurs percevoir la valeur inconditionnelle de la féminité et de la maternité, confiées à la paternité et à la masculinité. Remettons ces sujets éducatifs cruciaux à saint Joseph et à Notre-Dame.
Femmes catholiques, conscientes de notre privilège marial, nous choisissons de mettre nos énergies et nos talents au service de la complémentarité effective de l’homme et de la femme. Nous considérons que notre vocation spécifique n’est pas un miroir de celle de l’homme, et qu’elle n’a pas besoin d’être anoblie par le service de l’autel.
De même que l’homme contracte une dette vis-à-vis de la maternité spirituelle, nous exprimons notre gratitude envers le service masculin de l’autel.
Nous sommes conscientes que nos pasteurs, pour être fidèles à l’appel évangélique et à la tradition biblique et ecclésiale, ont à subir des pressions et qu’ils auront encore beaucoup à souffrir. Nous les assurons de notre prière et de notre affection fraternelle afin que leur célibat offert et uni à l’Unique Sacrifice soit toujours plus fécond.
[2] Can. 44 de la collection de Laodicée du IVe
Gabrielle Vialla, auteur de Recevoir le féminin, Bien vivre le cycle féminin, La Chasteté, Blog fecondite.org
Constance Prazel, docteur en histoire, chroniqueuse et éditorialiste
Liste des premiers signataires (par ordre alphabétique) :
Claire Coppin, fondatrice de l’école saint Tarcisius
Marie d’Armagnac, journaliste indépendante et essayiste
Valérie d’Aubigny, critique littéraire jeunesse
Charlotte de Bourayne, présidente du Centre Billings France
Valérie de La Rochefoucauld, historienne de l’art, agrégée, conteuse, écrivain, metteur en scène
Ingrid d’Ussel, chroniqueuse et écrivain, fondatrice des Cercles de Petits Ostensoirs
Maylis Gérardin, présidente de “Être femme, grâce ou défi ?”
Agnès Lozier, fondatrice des éditions Librim Concept
Marion Lucas, docteur en philosophie, spécialiste d’Edith Stein
Ingrid Riocreux, agrégée de lettres modernes, docteur en langue et littérature françaises, essayiste, blogueuse, chroniqueuse
Marie-Caroline Schürr, auteur de Out of the box
Anne Trewby, présidente des Antigones
Marie-Hélène Verdier, poète et essayiste
Peut-on (encore) espérer une sexualité épanouie ? Quelques apports pour la pastorale des fiancés et du mariage
Par ce titre, je n’ai pas (encore) l’intention de m’ouvrir un avenir lucratif. Je fais, simplement, une exception, poussée par cet impératif : des prêtres s’essaient à un enseignement détaillé sur l’acte conjugal, lors de la préparation au mariage. Sans filet, pour la plupart. Le sacerdoce serait-il un bouclier contre les erreurs en ce domaine ? Poser la question en 2020 suffit à y répondre.
Le prêtre est-il condamné à être un simple spectateur des tragédies qui touchent à la sexualité ? Bien sûr que non. Ce serait aberrant. Si de nombreux saints prêtres ont pu aider dans le passé, les prêtres d’aujourd’hui le font aussi. Moi-même, ce n’est pas mon statut d’épouse, mais les années d’écoute qui me permettent d’avancer ce qui va suivre avec un degré de certitude suffisant. Degré de certitude qui tient compte de l’immense diversité des tempéraments, des cultures familiales ou encore des blessures, des erreurs passées… Je désire ici simplement contribuer à une réflexion sur la part de la sexologie contemporaine qui s’incruste dans la préparation au mariage. Que faut-il garder ? De quoi faut-il se méfier ? Quels sont les rôles respectifs des laïcs mariés et du prêtre ?
Je vous livre ici quelques prémisses.[1] D’aucuns diraient qu’il s’agit de conseils « sexo ». Profitez du vocabulaire : je ne compte pas m’y spécialiser… Je les adresse à tout un chacun fiancés et mariés. Que les prêtres y voient, eux, du contenu de réflexion :
- Intimité, pudeur, patience, persévérance sont nécessaires à l’épanouissement sexuel. Si vous reconnaissez là un impératif intérieur, fuyez a priori toute description, discours, lexique qui n’en rendent pas compte.
- Jeûner régulièrement des stimuli sensoriels sensuels des divertissements audio-visuels. Ces images, et sons – même non pornographiques – banalisent en nous l’injonction à une sexualité performante. Il convient d’en être le plus conscient possible.
- La mentalité contraceptive (et davantage encore la contraception proprement dite) s’oppose non seulement à la vie mais aussi à l’amour, et à l’épanouissement sexuel entre les conjoints. Un ouvrage, un enseignement qui ne vous met pas en garde contre cela, contient déjà une erreur pour votre épanouissement personnel.
- Jean-Paul II et ses catéchèses ne sont pas une « caution » à tout ce qu’on veut leur faire dire. La théologie du corps peut servir malheureusement à masquer les opinions sexo de tel ou tel auteur. Si vous désirez savoir ce que dit Jean-Paul II, lisez-le. Ou demandez les références des points avancés.
- Être conscient de l’injonction moderne à parler de sexualité, alors que paradoxalement le véritable échange tenant compte de la complémentarité de l’homme et de la femme, lui, est aboli.Si certains discours valorisent le fait de décrire les actes conjugaux, ils omettent le plus souvent la nécessité pour l’épouse de remettre la réalité de son cycle à son époux et à celui-ci de le recevoir. Il convient surtout de discerner si l’on est capable de se confier dans le quotidien, si l’on peut dire une réelle difficulté, une fragilité, une tentation. L’expérience prouve que c’est bien autre chose que la capacité de parler de sexe. Décrire n’a absolument pas démontré son efficacité sur l’épanouissement des couples. Apprendre à se confier à l’époux (se), et selon le sujet, aux bonnes personnes (confesseur, conseillers, moniteurs), si.
- Recevoir le tempérament, le passé et la culture de son conjoint… avant ceux des personnes qui vous donnent des conseils. Quand on ajoute le lexique, les représentations sexuelles d’une tierce personne, il convient d’être conscient de leur éventuel impact. Des fiancés peuvent être bien prudents en refusant de se voir décrire l’acte conjugal en préparation au mariage. D’autres peuvent en trouver la nécessité s’ils sont dans une grande confusion, due à des expériences passées, à l’usage de la pornographie.
- Formation de l’intelligence et garde du cœur. Sachez définir ce qu’est la chasteté[2], la paternité et maternité responsable, sachez approfondir… Lisez de bons livres. Régulièrement. Ne pensez pas que vous savez tout sur ces sujets. C’est une illusion. L’anthropologie à partir de la régulation naturelle des naissances est appelée à s’approfondir (cf Familiaris Consortio §32). C’est une nécessité face à la culture de mort.
- L’alliance sexualité/spiritualité exige la lumière. Refusez tout enseignement d’un prêtre, qui ne puisse être assumé ouvertement, sous prétexte de pureté, de contexte de prière[3]. Trop d’exemples ont montré les conséquences de ce type d’initiations, de confidences : beaucoup d’illusions, voire jusqu’à de tristes cas d’abus spirituels. La gravité ou simplement l’inéquation de la situation n’apparaît pas immédiatement. C’est dans un second temps que les personnes réagissent à la relecture de leur vie, que les disciples retournent leur responsabilité propre contre des maîtres qui furent bien imprudents….
- La prière conjugale[4] remet à Dieu les désirs du cœur et du corps. Du coup, il faut qu’elle existe !
- Ne jamais oublier de recourir aux grâces d’état. L’épanouissement sexuel relève du périmètre des grâces d’état du mariage. Les fiancés ont les grâces pour vivre la continence des fiançailles mais pas celles pour discerner ce qui concerne directement l’exercice de la sexualité. Ils doivent l’accepter dans la confiance. On vieillit bien… en choisissant de rester fidèle et d’évoluer pour répondre à l’appel intérieur à la chasteté. Le mariage n’est pas une sous-catégorie de la sainteté. Il comporte épreuves, et héroïcité cachée dans le quotidien[5].
Conclusion :
Jamais, nous n’avons eu autant besoin d’une pastorale du mariage équilibrée, comme d’une réelle collaboration entre les prêtres et des laïcs mariés attachés à la chasteté conjugale[6]. Cet article n’a pas pour objet de traiter de cela, mais il est un rappel de cette urgence. Il est évident que le prêtre est attendu pour l’évangélisation de ce moment si riche de l’existence humaine. Jean-Paul II rappelait deux choses essentielles à annoncer aux fiancés. La première est que l’homme est appelé à vivre dans la vérité et l’amour. La seconde est que tout homme se réalise par le don désintéressé de lui-même ![7]
Il y a une véritable hiérarchie intérieure à transmettre aux fiancés pour leur bonheur et le bien de l’Église. Certains éléments, s’ils ne peuvent aujourd’hui être ignorés devraient être transmis d’abord par des couples mariés, conscients des trésors apostoliques contenus dans le magistère. Les prêtres sont attendus pour former ces collaborateurs nécessaires à leur ministère de prêtre, afin de marier des personnes ayant été préparées[8].
Gabrielle Vialla
[1] Je conseille d’ailleurs cet exercice. Notez vos prémisses, sans les développements de votre pensée et examinez-les un par un.
[2] On peut lire La Chasteté, Gabrielle Vialla, éd. Artège, 2020.
[3] Le futur Jean-Paul II a assumé dans Amour et Responsabilité tout un discours sur le plaisir. On ne retrouve pas dans sa correspondance privée d’enseignement qui serait « trop beau, trop complexe » pour être reçu par tout-un-chacun et donc publié.
[4] Nous sommes aujourd’hui le 7 décembre, veille de l’Immaculée Conception. On dit qu’Anne et Joachim se sont unis, à la suite de la rencontre de la Porte Dorée (illustration) pour concevoir la Vierge Marie. En ayant transmis cet épisode, la tradition nous fait méditer sur l’intimité, la pudeur, le « ministère du dessein établi par le Créateur » (Humanae Vitae) confiés aux époux qui L’aiment.
[5] Une illusion portée par la sexologie consiste à penser que par des connaissances théoriques, on puisse « gagner du temps » pour accéder à un épanouissement sexuel. L’observation de l’insatisfaction contemporaine dément, à mon avis, cela. La sexualité humaine a besoin de s’inscrire dans le temps, de s’approfondir dans le contexte plus prosaïque de la vie quotidienne à deux. Quand cela n’est pas intégré, face à l’épreuve, les personnes ont tendance à rechercher de nouveaux apports, de l’exotisme… avec les risques d’emballements permis par nos sociétés.
[6] D’année en année, tout un travail d’approfondissement est fait. Les prêtres peuvent désormais accéder à quelques archives ici
[7] Cf Conseil Pontifical pour la Famille, Préparation au sacrement de mariage, 1997.
[8] « L’Église a déployé des efforts et des initiatives considérables pour la préparation au mariage, par exemple sous la forme de sessions organisées pour les fiancés…. Mais il ne faut pas oublier que la préparation à la future vie de couple est surtout une tâche de la famille. Certes, seules les familles spirituellement mûres peuvent exercer cette responsabilité de manière appropriée. Il convient donc de souligner la nécessité d’une solidarité étroite entre les familles qui peut s’exprimer en divers types d’organisations, comme les associations familiales pour les familles. L’institution familiale se trouve renforcée par cette solidarité qui rapproche non seulement les personnes, mais aussi les communautés, en les engageant à prier ensemble et à rechercher, avec le concours de tous, les réponses aux questions essentielles qui surgissent dans la vie. N’est-ce pas là une forme précieuse d’apostolat des familles par les familles ? » Lettre du pape Jean-Paul II aux familles, 1994.
Transmettre sur le corps sexué : urgence et défi
Jusqu’à une époque récente, ces quelques mots « transmettre sur le corps sexué » pouvaient signifier éduquer à une saine morale sur la sexualité, dans un contexte culturel largement judéo-chrétien. Les familles, les institutions catholiques essayaient de transmettre – non sans maladresses ni quelquefois sans contre-témoignages – un certain socle reçu de la génération précédente. Au cours du XXe siècle, la mise en exergue de la psychologie, l’importance croissante accordée à l’affectivité, le souci d’une certaine transparence ont fait comprendre la nécessité d’une éducation sexuelle et affective. Celle-ci est dorénavant communément acceptée, et plus ou moins heureusement mise en place. Est-ce suffisant ? Ou devons-nous renchérir sur la nécessité d’une réforme de la culture ambiante et d’une transmission plus large sur le sens de la sexualité humaine ?
Lorsque les grands quotidiens titrent sur la possibilité ou non pour une femme transgenre de devenir mère de son fils, que des marques pour adolescents proposent des chaussures à talons, des minijupes portées par des jeunes hommes épilés, qu’une radio catholique raconte la belle histoire d’un changement de sexe chez un enfant de 8 ans, tout éducateur lucide ne peut que ressentir un profond désarroi : comment, dans ces conditions, transmettre le sens de la sexualité humaine ? De la vocation au don de soi jusque dans son corps, au milieu d’une anti-culture qui nie toute finalité à la sexualité ?
Le déferlement de la culture de mort, la vitesse accélérée de ses « progrès », placent les parents, éducateurs et pasteurs devant une tâche inédite. Par où commencer ?
Du constat idéologique au traitement préventif
L’entreprise de négation de la complémentarité des sexes n’est pas restée sur le seul terrain intellectuel, réservé à des universitaires. Les exemples donnés en introduction nous font mesurer à quel point la réalité biologique n’est pas seulement niée par la culture de mort mais comment elle est utilisée ou manipulée à des fins idéologiques.
Tout cela ne fut rendu possible que par la démocratisation de la pilule contraceptive, à l’échelle de deux ou trois générations. La possibilité d’un corps féminin disponible pour une sexualité libérée de la « contrainte » de la maternité était une première étape, à partir de laquelle toutes les revendications, au nom du « désir individuel », devenaient réalisables. Il fallait que ce point fondamental soit très largement admis, au nom d’une certaine idée de la liberté. La contraception hormonale, qui gomme concrètement une partie des différences de vécu entre l’homme et la femme, fut le cheval de Troie de l’indifférenciation sexuelle, comme de toutes les idéologies LGBT. Le vécu féminin modifié par des hormones artificielles, dont nous ne connaissons qu’en partie les effets sur le cerveau ou sur l’humeur, atténue de façon insidieuse la perception de la différence entre l’homme et la femme. Les études relatives à la nocivité des hormones artificielles sont peu nombreuses et souvent inaccessibles pour le grand public. Et quand l’une d’elles sort dans la « grande presse », elle est aussi vite oubliée, tant la contraception hormonale est devenue pour nos contemporains un paradigme sociétal. Ainsi, on sait aujourd’hui que la pilule augmente de 80 pourcents les dépressions et tentatives de suicides chez les adolescentes[1]. Pour autant, quand le gouvernement français, il y a quelques semaines, a rendu la contraception gratuite pour les moins de 15 ans, il n’y a eu aucune réaction. La contraception hormonale n’est plus remise en cause que par quelques écologistes[2] et quelques catholiques. Ceux-ci, écolo ou catholiques, les anti-contraception, sont minoritaires jusque dans leur milieu. Il n’est que de constater comment le mot même « contraception » disparaît des sites de catéchèses, des prédications de retraites, des propositions d’aides aux familles et aux couples, alors qu’il est sur-employé dans les domaines de l’éducation nationale, des médias et de la santé.
Voilà mon premier constat : seule la conscience claire de cette base biologique de la contraception hormonale comme support d’une idéologie qui nie le corps sexué, peut donner au discours cohérence et légitimité. En effet, à partir de l’acceptation de la contraception hormonale, il suffit de tirer sur le fil, pour en arriver à justifier l’injustifiable sur le corps sexué. Acceptons de comprendre que nos jeunes vivent dans une anti-culture qui a ce paradigme fondateur : le désir soumet le corps sexué à sa volonté[3].
C’est face à cela que l’éducateur lucide doit se situer. Penser que, dans ce contexte, une belle présentation du corps et de l’amour humain est suffisante pour résister et répondre aux confusions est illusoire.Lire plus
On ne kiffe plus rien du tout !
Un marketing agressif. Une fausse gratuité. La récupération de vos coordonnées. Plus c’est gros, plus ça passe. « Kiffe ton cycle », très présent sur les réseaux sociaux, promeut dorénavant pour la jeunesse des intervenants pro-IVG, pro-genre… Dans son dernier événement « sommet du cycle menstruel », deux intervenants phares sont féministes, auteurs pour le premier d’un livre « Ceci est mon corps » et pour la seconde de « Ceci est mon sang » (sic) ; signataires d’une tribune du planning familial pour l’abrogation de la clause de conscience spécifique à l’IVG pour les personnels soignants. On y trouve aussi de nombreux partisans de toutes sortes de relations sexuelles précoces, avec la contraception. Une minorité d’intervenantes désire y porter une parole de vérité, avec cette incohérence et confusion qu’elles contribuent à la publicité pour les plus durs idéologues, auprès d’un public qui leur fait confiance.
Tout observateur lucide fait ce triste constat : le cycle est aujourd’hui récupéré par la culture de mort.
L’idéologie de 68 résumée par le slogan « c’est mon corps » est si bien assimilée par nos contemporains que les partisans de l’avortement peuvent se payer le luxe de récupérer le cycle. Si dans un premier temps, ils ont œuvré à détruire le cycle par la pilule, à la faveur du retour écologique, ils s’adaptent maintenant au rejet toujours plus grand des hormones artificielles par le grand public féminin. Qu’à cela ne tienne. On a vu la promotion et la croissance du marché du stérilet en cuivre. En ce moment, les laboratoires pharmaceutiques travaillent sur des contraceptions qui sont de plus en plus abortives tout en évitant d’altérer trop le cycle, afin que les femmes aient le moins d’effets secondaires possibles. Leur libido ne doit pas être diminuée. Il faut jouir. Rien ne vaut une belle ovulation pour se sentir attirante. Quand à la PMA, y compris pour les personnes homosexuelles, elle utilise depuis longtemps la connaissance du cycle.
Que faire ? Nous devons prendre conscience puis refuser toute approche naturaliste du cycle qui refuse la transcendance et vante le relativisme. Derrière de nombreuses présentations, figure un athéisme pratique dans lequel le corps n’est qu’un instrument matérialiste, qu’on ne doit à personne, qui n’a, à répondre, de rien de ses activités génitales. Dans tout cela, il reste l’innocent. Toujours le même : l’enfant à naître. Lui il est prié de se taire, le plus souvent à jamais…
Quel avenir pour les promoteurs des méthodes naturelles qui instruisent de la connaissance du cycle ? Choisir la vie. Le cycle féminin est au service de la vie, dans sa complémentarité avec le masculin. C’est en fonction de ce respect inaliénable, que les admirateurs du cycle ne s’abuseront pas eux-mêmes, qu’ils ne se perdront pas dans les méandres des mensonges féministes qui doivent sans cesse se renouveler pour survivre. Toutefois, ne discréditons pas les moniteurs de régulation naturelle des naissances. Au contraire. Ce sont eux aujourd’hui les véritables soldats dans ce combat. Ces foyers témoignent et répètent inlassablement à tout-un-chacun ce lien indissociable entre la sexualité et la vie. Ils rappellent fondamentalement à tous la responsabilité humaine face à la transmission de la vie. Celle-ci est d’abord confiée aux futurs parents, mais tout-un-chacun, personnel soignant, éducateur, chercheur, pasteur doit mesurer sa responsabilité. Que ceux qui aujourd’hui dans un tel climat de confusion choisissent de rester fermes dans ce service de la vie, puissent être encouragés et remerciés.
L’illustration, très évocatrice, de Pauline Nitsch, provient de mon livre Bien vivre le cycle féminin, éd. Artège, destiné aux mères de famille et à tous à partir de la puberté. Cette image fait contempler que chaque personne est entrée dans la vie par le cycle.
Gabrielle Vialla (dernier ouvrage : La Chasteté, un don qui rend sa beauté à la sexualité)
Les grandes illusions
paru dans Liberté Politique n°85, juillet 2020
La grande illusion est le titre d’un chef d’œuvre cinématographique de Jean Renoir. L’action se passe dans une prison lors de la Première Guerre mondiale. L’officier français, joué par Pierre Fresnay, révèle l’état d’esprit qui a prévalu et permis ce désastre pour l’Europe : « En espérant que c’est la dernière guerre ». L’officier allemand répond sobrement : « Ah ! tu te fais des illusions ». Le spectateur français s’identifiant naturellement à l’officier de son camp, connaissant dorénavant la suite tragique du destin de son pays, perçoit la charge sans concession du réalisateur face à la sur-confiance, la désinvolture avec laquelle les personnes ayant autorité peuvent s’aveugler sur le bien-fondé de leurs décisions et créer de dramatiques précédents. Si l’analogie entre la guerre et une pandémie virale est discutable à bien des égards, en revanche, ce titre que je mets au pluriel, Les grandes illusions, résume parfaitement mon propos.
À partir de modélisations critiquables, grâce aux moyens de communication modernes, d’internet, les gouvernements ont imposé une gestion inédite d’un phénomène terrible mais connu dans l’histoire – une épidémie. L’Église catholique s’est elle-même retrouvée entraînée dans le confinement, situation inconnue à cette échelle. Impréparés, la hiérarchie cléricale et les catholiques se sont adaptés, révélant ainsi bien souvent les paradigmes de leur pensée et leurs véritables priorités. Les conséquences positives furent immédiatement relevées et mises en lumière : nombreuses catéchèses, instructions « en ligne », messes « en live », possibilité de recevoir l’extrême onction, continuité des enterrements, continuité des œuvres sociales – distribution des repas, appels à « rester en contact » avec les personnes âgées et isolées, services d’écoute en ligne auprès de publics divers, confection de masques, blouses, divers services dans l’accueil hospitalier… Beaucoup ont témoigné pour leur famille de moments privilégiés d’échanges et de prières.
D’autres conséquences ne firent pas l’objet d’une même publicité sympathique sur les réseaux sociaux : privation de l’Eucharistie pour l’immense majorité des fidèles pendant de longues semaines, dont les jours saints, dans une grande partie du monde, isolement des malades et des souffrants, arrêt des baptêmes, confirmations, mariages, mais aussi abandons de très nombreuses personnes âgées et mourants par peur, lâcheté ou par soumission à une réelle dictature administrative, isolement de la vie contemplative avec la fermeture des hôtelleries, voire des abbatiales. Dans un premier temps ou dans un certain nombre de lieux, il y eut la fermeture des églises, l’impossibilité de rencontrer un prêtre « en vrai », de se confesser, ou de communier. Certaines de ces dispositions étant imposées par le gouvernement, d’autres par les préfets, d’autres par la hiérarchie catholique, d’autres enfin par l’initiative personnelle du clergé local ou des laïcs.
Comment a-t-on pu en arriver là ? Est-ce un précédent inéluctable pour la prochaine vague, la prochaine épidémie, voire pour la grippe saisonnière ?
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À la faveur du confinement, on a entendu de nombreuses justifications théologiques sur la privation de la participation à la messe du dimanche des fidèles, ainsi que sur la privation de la communion en dehors de la messe. La réalité de la nécessaire vie sacramentelle pour un catholique fut mise sous silence, et « la créativité » orientée surtout vers le numérique. Pourtant, le père Léthel donne dans son ouvrage La blessure eucharistique[1], de nombreux exemples de l’habituel courage catholique dans les circonstances extrêmes (camps de concentration nazis, emprisonnement au Vietnam…) où la créativité et le courage furent au service du don réel de l’Eucharistie à ceux qui souffrent. Il donne cet exemple du Vénérable cardinal vietnamien François-Xavier Nguyen Van Thuân, qui est resté treize ans en prison, lors de la persécution communiste : « Il a réussi à célébrer l’Eucharistie chaque jour dans les conditions les plus extrêmes, avec trois gouttes de vin dans la paume d’une main, une petite hostie dans l’autre, en conservant continuellement une hostie consacrée dans la poche de sa chemise. Pour un autre prêtre prisonnier, il avait fabriqué une bague avec le fer d’une boîte de conserves, qui était un « mini-tabernacle » contenant un fragment d’hostie consacrée. Aux catholiques prisonniers, il donnait une réserve d’hosties consacrée dans des paquets de cigarettes pour qu’ils pussent continuer à vivre l’adoration et la communion. Pendant cette période de persécution les évêques vietnamiens avaient donné aux laïcs engagés la permission de garder l’Eucharistie pour la porter dans les zones où les prêtres ne pouvaient pas pénétrer. Dans une de ses prières écrites en prison, Mgr. Van Thuan disait à Jésus Eucharistie : « Je te porte avec moi jour et nuit ». Cette proximité continuelle de Jésus Eucharistie le soutenait, l’aidait à pardonner et à aimer héroïquement ses ennemis, à tel point que ses gardiens communistes devenaient souvent ses amis ! Il affirmait : « Ma seule force est l’Eucharistie » ».
Cette créativité se trouve aussi dans une tradition plus ancienne. Ainsi, Françoise Bouchard raconte un épisode de la vie de sainte Jeanne de Chantal[2]. Afin qu’une pauvre femme atteinte d’un chancre réputé contagieux lui dévorant le visage puisse communier, la sainte fit fabriquer une pince en argent. Le prêtre put ainsi introduire la Sainte Hostie sans risquer de toucher la malheureuse. Cet exemple est intéressant à plusieurs points. Tout d’abord l’initiative est prise par une femme, alors simple laïque. Dans ce cas comme pour le Covid-19, la malheureuse était placée en isolement car elle était contagieuse ; la bien-pensance générale estimait, de plus, que cette femme pouvait être privée de messe et de communion. On conseilla enfin à la baronne de Chantal de s’éloigner d’elle afin de ne pas contaminer ses propres enfants, puisqu’elle-même semblait mépriser sa santé. Un argument similaire fut largement donné pour le Covid : ceux qui accepteraient de « se sacrifier » pouvaient tout de même porter préjudice en diffusant la maladie sans le savoir ; ils devaient donc impérativement s’en abstenir. La démarche de la sainte française fut tenace car elle n’abandonna pas face à ses détracteurs amicaux et familiaux. Elle fut créative et la plus respectueuse possible envers l’Eucharistie car on fit appel à un orfèvre. L’Église a finalement reconnu dans cet acte la charité de Jeanne de Chantal.
Que la réglementation étatiste sanitaire et hygiéniste ait rendu possible d’aller chercher une crème hydratante à la pharmacie, ou du bon vin chez le caviste, mais que l’on ait largement interdit de donner la communion aux fidèles, que très peu de prêtres et évêques aient permis avec la prudence, la distanciation nécessaire etc. la présence de quelques fidèles à leur messe, qu’on ait largement refusé aux fidèles la communion en dehors de la messe, voilà des faits avérés. Non seulement la majorité des prêtres et des fidèles se sont laissé entraîner à sur-interpréter les règles hygiénistes lorsqu’elles étaient manifestement disproportionnées, mais le plus désolant pour l’avenir est que très peu se sont interrogés sur de possibles surenchères et lâchetés personnelles ou collectives, voire de possibles abus de pouvoir. Le travail de la raison fut nié. Seules l’émotion et une conception restreinte de l’obéissance furent tolérées. Pourtant nous avons à relire ce temps récent pour réagir avec foi collectivement, au cas où ce type d’épreuve nous toucherait à nouveau. Nous devons aussi prendre conscience que certains tirent de cette « catéchèse du confinement » viciée une certaine cohérence, qui peut laisser de profondes conséquences. Ainsi Anne Soupa, qui a présenté très médiatiquement sa candidature à l’archevêché de Lyon, explique sobrement mais avec une implacable logique : « Les sacrements ce n’est pas le tout de la vie chrétienne. On peut vivre en chrétien sans ces sacrements, on l’a vu pendant le confinement. »
On a largement préféré voir dans cette candidature une réclamation fantaisiste plutôt qu’une réponse de la bergère au berger. Pourtant, si l’autorité utilise toutes sortes de manipulation du langage pour faire accepter les normes gouvernementales, elle doit s’attendre à des réactions de même type en retour. Examinons quelques éléments de langage largement donnés par des autorités cléricales.
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D’abord s’est imposé le terme abusif de « jeûne eucharistique ». Alors que nos aînés dans la foi se privaient de nourriture et de boisson pour pouvoir communier, par un simple artifice de langage il nous était possible de manger, boire, profiter de l’existence, du confort moderne et des divertissements sur internet ; tout en faisant un nouveau jeûne : celui de se priver de la messe ! Quand on prend quelques minutes de réflexion, on mesure la terrible inversion qui s’est glissée et répandue.
Je précise à mon lecteur que ma critique porte sur la justification pastorale donnée, et non sur le fait qu’il existe des circonstances concrètes qui peuvent rendre impossible la présence à la messe : maladie, absence ou éloignement de prêtres, emprisonnement, persécutions… Il ne s’agit pas de remettre en cause les données épistémologiques contemporaines mais d’accepter une réflexion sur l’agir face à celles-ci et sur les arguments théologiques donnés pour faire accepter les mesures sanitaires.
Ceci étant précisé, voici une seconde justification entendue : nous pouvions enfin vivre en communion avec ceux qui habituellement ne peuvent communier. Là, de nouveau, nous assistons à un processus qui interpelle : à la fin du synode sur l’Amazonie, on arguait majoritairement que l’accès à la communion devait être possible pour tous, partout. Puis, par un étrange phénomène, il ne s’est plus agi de partager un bien, le plus grand soit-il, mais de considérer que la privation de ce bien, si elle est partagée par tous, est un bien. On constate une mise en exergue de la dimension communautaire, transversale, sociale, de l’Eucharistie, rendue prioritaire sur la relation interpersonnelle et transcendante entre Dieu et l’âme – relation qui est aussi intercession pour tout le genre humain. Cette position égalitariste a amené des religieuses contemplatives à refuser la présence d’un prêtre résident, des prêtres à ne plus dire leur messe par fausse compassion. Avec cet oubli impressionnant des personnes divines elles-mêmes partie prenante dans cet admirable échange qu’est l’Eucharistie : exit le fait que le Christ désire se donner aux âmes sacramentellement…
Par ailleurs, on a peu mesuré l’incongruité de certaines comparaisons. Si certains catholiques ne peuvent recevoir l’Eucharistie parce que leur situation personnelle est objectivement en contradiction avec le don du Christ pour l’Église, ce ne sont pas seulement les circonstances qui les en empêchent mais aussi une certaine responsabilité personnelle. Rappeler que certains chrétiens sont privés de pasteur ou sont emprisonnés est une réalité, mais être confiné à quelques centaines de mètres de son curé et réciproquement de ses fidèles, et ne pouvoir communier n’est pas du tout la même expérience humaine et spirituelle que d’attendre la venue d’un missionnaire ou d’être empêché manu militari de rejoindre la messe. Encore une fois, il convient de rappeler le contexte : en France, il fut toujours possible de se rendre au supermarché, à la pharmacie, de marcher pendant une heure à un kilomètre de distance, et même de se rendre dans une église se trouvant entre le domicile et le supermarché… Des éboueurs, des boulangers, des caissiers, des postiers – sans parler des médecins, infirmiers, agents de ménage – ont pris des risques que bien des évêques et des prêtres n’ont pas pris, soit par refus, soit par obéissance alors qu’ils l’auraient désiré.
Certes – merci Seigneur, merci à eux – une belle minorité, plus silencieuse, a continué à faire « son job », à obtenir de le faire pour nourrir du pain de Vie ceux qui le demandaient.
Mais dans l’ensemble, on a massivement introduit un nouveau paradigme comme l’a noté Anne Soupa : nous pouvions concrètement vivre sans l’Eucharistie si nous jugions les circonstances suffisantes. Ainsi, d’aucunes arguent maintenant que lorsque les autorités masculines ont manifestement failli dans un diocèse, il serait plus sain d’adapter les choses en introduisant une femme au gouvernement. Comparaison n’est pas raison[3]. Mais tel est le résultat d’une pastorale des circonstances.
Alors que la liturgie, pendant le confinement, a pu nous donner les plus beaux textes sur le pain de Vie ou l’Eucharistie, la majorité des pasteurs nous exhortait à une charité qui se vit en se privant du Pain de Vie. Les circonstances (le Covid) imposaient une pastorale soi-disant adaptée qui faisait fi des textes. Les circonstances donnaient le « la » de la foi.
Beaucoup ont ergoté sur le fait que l’Eucharistie n’était pas « vitale ». En effet, même si pour beaucoup d’âmes la communion est un « soutien » pour l’esprit et le corps comme le rappellent bien des prières liturgiques après la communion, nous ne vivons pas cela habituellement avec l’intensité d’une sainte Catherine de Sienne. L’Eucharistie n’est pas la raison de notre santé, si nous l’entendons à la manière du monde contemporain. La santé est devenue hygiène, normes, constantes chiffrables. Il ne s’agit plus d’abord de comprendre ce qui est nécessaire à la nature humaine, mais de plier la nature humaine à une efficacité. Tel est déjà le cas depuis plus de cinquante ans, pour la gynécologie, où la norme est devenue la contraception et où le respect du cycle féminin est l’exception[4]. Si nous entendons la santé et la maladie comme le Christ, dans un sens plein, où l’esprit et l’âme participent au bien du corps, alors oui l’Eucharistie est vitale. C’est ce que nous enseignent les textes de la liturgie sur le Pain de Vie que nous avons reçus pendant le confinement. Mais, tétanisés, nous nous sommes plus ou moins habitués à une dichotomie entre l’appel pressant du Seigneur à ce que nous le recevions réellement dans son Corps et son Sang, et cette situation où non seulement notre vie se déroulait sans pouvoir le recevoir, mais plus encore une pastorale troublante justifiait que du bien pouvait surgir de la privation raisonnée du Bien. Toujours à de belles exceptions près… Exceptions de ces pasteurs qui n’ont jamais cessé de dire leur messe en présence de fidèles, dans l’obéissance à leurs évêques à qui ils rappelaient humblement leurs devoirs respectifs. Ces exceptions, il s’agit de les chérir comme un trésor pour tous dans le cœur de l’Église. Là où une âme communie avec foi pour le monde, les grâces abondent. En certains endroits en France, davantage en Italie, les fidèles s’étant confessés pouvaient recevoir la communion de leur prêtre.
La dictature du relativisme que le pape Benoit XVI a tant dénoncé à temps et à contretemps, a engendré de mauvais réflexes pastoraux – le plus souvent inconscients. Notre société narcissique flatte en nous, en nos pasteurs, un regard opportuniste. On vante ainsi tel ou tel aspect de notre foi en passant sous silence tel autre au gré de nos besoins. On a pu ainsi mettre en exergue la miséricorde en oubliant la justice, etc. L’expérience du Covid-19 a révélé cette capacité jusqu’à l’excès. Beaucoup ont commencé par voir dans une réelle tragédie – il suffit de penser aux Ehpad – des opportunités pour la présence catholique sur les réseaux sociaux. On a entendu, sans sourciller, toutes sortes de sermons expliquant que la charité pouvait se passer de sa source sacramentelle. On nous a rappelé que nous étions le Christ aujourd’hui, et que par conséquent, nous devions être patients et conciliants avec la norme du moment. Certains n’ont compris la grande illusion de cette pastorale des circonstances qu’au fur et à mesure. Le déconfinement pour tout sauf pour les sacrements apporta un trouble chez de nombreux fidèles. Les laïcs aiment leurs prêtres et il leur est insupportable de réaliser qu’ils puissent faillir. J’ai entendu plusieurs fois que les prêtres devaient se protéger car on manquait de vocations et que l’on aurait besoin d’eux après ! La phase euphorique du Carême en ligne étant passée, la question n’était plus de chercher la vérité et le bien, dans le moment présent, mais d’attendre que « ça passe » car l’opportunité était dorénavant pour plus tard. Ce type de justification fut malheureusement largement accepté.
Cette pastorale des circonstances, forme sournoise du relativisme n’est pas forcément liée à une pensée progressiste, mais bien à l’opportunisme du cœuõr humain, à la tentation, pour le théologien, le pasteur, le catholique engagé, de tirer son épingle du jeu. De cela découlent pourtant tous les abus spirituels[5]…
Nous devons retrouver une foi qui accepte le travail de la raison et en particulier la cohérence. Nous devons exiger de nos pasteurs et théologiens, des arguments qui ne soient pas mouvants et réfutables au gré de la politique, des circonstances sanitaires…
Il s’agit de prendre conscience que ces réflexes pastoraux sont une sorte de mainmise sur la foi, un manque de chasteté[6] entendue dans le sens d’un respect total de toute la personne et de toute personne. La foi se reçoit de Dieu, et de l’Église. Cette dernière, l’Église, étant elle-même l’œuvre de Dieu, une avec le Christ. La foi de l’Église s’enracine dans la Tradition et la Parole de Dieu. Et non dans l’actualité ! Nous devons rechercher une conversion qui soit un retour à la foi de l’Évangile, qu’on ne choisit pas, qui est en conformité avec la raison, permettant même le déploiement de celle-ci.
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Comment ces justifications pastorales ont-elles pu si bien fonctionner ?
Catholiques, nous sommes aussi les enfants de notre époque. Le confinement et le monde d’après donnent un effet grossissant de paradigmes préexistants. Ces paradigmes expliquent les lâchetés et erreurs, comme dans une moindre mesure les réussites relatives.
Parmi ces paradigmes existentiels j’en distinguerai trois : l’égalitarisme, l’omnipotence du dialogue, enfin l’injonction au bonheur.
Si nous-même ne voulons pas nous laisser emporter par ces illusions il s’agit de prendre conscience de ce qu’elles révèlent et à quel point elles sont peu évangéliques.
L’égalitarisme a donné tout récemment sa version terrifiante dans « l’émotion » sociale et médiatique contre les violences policières racistes. L’aspiration légitime à l’égalité de traitement consécutive à l’égale dignité humaine est aujourd’hui hypertrophiée au point de paralyser toutes décisions qu’elles soient d’ordre social, politique ou spirituel. Cette utopie sociale a des répercussions dans le « management clérical ». Lors de la privation de la communion aux fidèles laïcs, la justification égalitaire fut le premier leitmotiv. « Je ne peux vous donner la communion (même si tout était possible sanitairement et légalement) car si tout le monde le demandait cela serait ingérable ». Que peu de personnes le demandaient réellement n’entrait pas en ligne de compte. Lors du déconfinement, toute solution créative pour permettre à certains de pouvoir assister à une messe était immédiatement rejetée au motif qu’une catégorie de personnes ne pourrait y assister. Tout argument était valide : absence de voiture pour les uns, fragilité de santé pour les autres, etc. Il s’agit de prendre conscience que l’égalitarisme est un totalitarisme soft, particulièrement efficace, employant une police dédiée, gratuite et disponible, faite de petits chefs. Ces personnes ont en réalité souvent plus de pouvoir que l’autorité légitime. Celle-ci en a une telle crainte, que par avance, elle s’y plie.
La seconde utopie consiste à attendre du dialogue un consensus – et non une recherche du bien – et à penser que pour réussir le dialogue, il convient préalablement de concéder des choses à son ennemi – pardon interlocuteur – au détriment de ses plus proches (enfants, paroissiens, amis…). Nous connaissons toutes sortes de variantes sociales et pédagogiques de cette utopie : éducation sans notes et sans punition, management collaboratif où l’on vous fait croire que vous choisirez salaire et vacances. En version catholique française, on rejoue une variante excessive et contemporaine du ralliement des catholiques voulu par Léon XIII. On se répète, et on finit par y croire, que tout homme politique fait son métier par pur désintérêt, pour le bien de tous et des catholiques en particulier. On anticipe les consignes, comme ce fut le cas le dimanche des élections, avant même les demandes gouvernementales. Éventuellement on rajoute des consignes pour montrer « qu’on joue le jeu », « qu’on est de bons citoyens ». En réalité on s’admire soi-même dans le rôle du gentil. Gentil non selon l’évangile mais selon la norme psychologique contemporaine. Il s’agit bien d’une version devenue folle de l’amour des ennemis. Plus proche du syndrome de Stockholm que du martyre qui lui ne cède pas, tout en pardonnant.
L’épisode du Conseil d’État saisi par quelques personnes et associations, en lieu et place des évêques de France, qui tentent ensuite d’expliquer qu’ils ont participé à cette victoire par le dialogue, n’est que le haut de cet iceberg qui se retrouve partout : conseils épiscopaux, paroissiaux, aumôneries publiques, écoles libres…
La troisième et non dernière utopie est l’injonction au bonheur. Le bonheur est rarement défini par nos contemporains. Il est souvent associé dans les enquêtes d’opinion à la santé, au bien-être, à la facilité ou qualité de vie, et à la famille. La famille : voilà bien le lieu d’un des plus grands paradoxes actuels. La famille est le refuge affectif. Elle est aussi le premier lieu de l’insécurité affective, par les divorces et autres remaniements possibles en fonction de la lassitude des adultes. La famille est définie par chacun au gré des envies, des besoins. Cela dit, nos contemporains pensent y trouver le bonheur. La famille avec ses fragilités n’aurait le droit d’exister que si les difficultés sont choisies et assumées. Dans cette vision, l’enfant non désiré, la personne handicapée ou le vieillard doivent pouvoir en être évacués. La mort, le grand âge y sont niés, placés à distance… Famille rime aujourd’hui avec confort et bien-être. La tentation est, aussi pour les catholiques, celle du communautarisme, et de l’illusion d’une séparation de la société. La souffrance et les idées contemporaines sont pourtant présentes dans toutes les familles.
Le père Potez dit ceci : « J’ai surtout côtoyé des gens qui souffrent. Beaucoup. Et c’est impressionnant. Le mot qui me revient le plus est dépouillement. La souffrance dépouille. On y perd beaucoup d’illusions, d’amour propre, de défenses. La souffrance fait fondre les blindages. Bref, elle rend vulnérable. Et c’est la clé. Mais seule la croix de Jésus peut illuminer la souffrance et lui donner un sens. Sans quoi elle reste désespérément obscure et absurde… plus le monde souffre – et tout porte à croire que ce n’est pas fini – et plus l’évangélisation est urgente. »
L’injonction au bonheur est un malheur quand elle refuse d’entendre la souffrance et de lui donner un sens. La famille ne doit pas être une réserve hédoniste de confort et de bien-être. Il y a là pourtant une vraie tentation, que le confinement a encore accentuée pour certains : le refus de la souffrance d’autrui, comme de la sienne propre, le refus de la finitude, le refus de se figurer sa propre mort inéluctable. Et peut-être le refus d’entendre la souffrance du Christ en Croix : « J’ai soif ! » « J’ai ardemment désiré manger cette Pâque avec vous avant de souffrir ! » (Lc 22, 15).
Ces refus de la souffrance et de la mort ne sont pas le bonheur. La logique de notre société morbide qui confond bien-être et bonheur, entraîne l’abandon de la vérité car celle-ci paraît trop coûteuse, trop exigeante. Beaucoup vont continuer à préférer les grandes illusions.
Pourtant, les membres de l’Église ont souffert du confinement sacramentel. La seule « sortie » est de venir à la Vérité, de L’aimer, de Lui présenter cette souffrance. Puissions-nous choisir de tout remettre devant une humble Hostie consacrée.
Gabrielle Vialla
[1] François-Marie Léthel, o.c.d, La blessure eucharistique, 02/05/2020, gratuit sur internet.
[2] Sainte Jeanne de Chantal ou La puissance d’aimer, Françoise Bouchard, éd. Salvator, 2004.
[3] J’ai écrit un ouvrage sur la vocation de la femme : Recevoir le Féminin, éd. Fécondité, 2018.
[4] Bien vivre le cycle féminin, Gabrielle Vialla, éd. Artège, 2020 : un beau livre illustré pour la transmission dans les familles sur le cycle féminin.
[5] J’ai ainsi montré cela dans différents articles sur mon blog fecondite.org
[6] À paraître : La chasteté, un don qui rend sa beauté à la sexualité, Gabrielle Vialla, Artège, oct. 2020.
Face à la PMA pour toutes, etc., que devons-nous faire ?
Ces jours-ci, nous assistons, assommés, à une aggravation et une intensification de la culture de mort. Sur le strict plan de l’intelligence nous ne devrions en avoir aucun étonnement. Jean-Paul II avait prédit les conséquences de la banalisation de la contraception (voir ses Catéchèses). La dissociation des modalités unitive et procréative de la sexualité humaine fut encore « normalisée » par la fécondation in-vitro (voir Donum vitae). Les conséquences d’une sexualité sans enfant par choix, ou d’un enfant sans sexualité lorsque l’infertilité n’est pas acceptée, sont socialement incalculables. Nous pourrions croire n’assister qu’aux prémices de cette culture de mort, si nous passions sous silence le drame des millions d’avortements et de destruction d’embryons (voir Evangelium vitæ). En réalité, les structures de péchés sont tellement bien implantées qu’elles produisent de « nouveaux besoins » et une tentation de profits financiers toujours plus importants.
Nous avons, devant chacune de nos consciences, ces deux systèmes anthropologiques irréductibles l’un à l’autre. L’un, dans le respect de ce qui vient de Dieu, refuse la chosification du corps et rappelle l’inaliénable dignité humaine. L’autre tourne massivement le dos au sens de la sexualité humaine, parce qu’il tourne le dos à Dieu qu’il ne reconnait plus. Soyons lucides. Ce système anthropologique est dominant aujourd’hui, allié à la culture.
Les personnes et nous-mêmes pouvons y être entraînés. Beaucoup ont une responsabilité atténuée par le manque de formation et les influences extérieures. Nous avons très peur de considérer les logiques internes à ces systèmes. On s’insurge face à chaque aggravation en criant à la nouvelle rupture anthropologique comme s’il s’agissait d’un fait isolé pour ne pas réaliser à quel point tout se tient, et où se situe la responsabilité personnelle de notre état de vie, de notre profession.
Que devons-nous faire? Il est important de s’opposer à toute aggravation des lois anti-vies. Pour la plupart d’entre nous, notre poids politique est limité, mais nous avons chacun l’occasion de nous rappeler que notre vote s’il pèse peu, compte et participe ou non à ces lois.
Plus profondément, nous avons à retrouver le goût de la chasteté, et de sa lumineuse cohérence. La chasteté étant l’intégration de la sexualité de la personne en vue de l’intégralité du don. Nous avons à approfondir sans cesse pour nous-mêmes le sens de cette sexualité, avant de l’annoncer largement dans sa plénitude. Nous avons à faire le choix du bonheur et de la vie. La régulation naturelle des naissances bien comprise intègre le projet de Dieu sur le couple. Elle reconnait dans chaque union la primauté du Créateur et la collaboration qu’Il a voulue avec les époux. Dieu a donné à l’homme et à la femme l’intelligence pour reconnaître un oui fondamental dans chaque union. Un oui prudent et responsable qui n’est pas émotif et sensible, mais raisonnable. Un oui qui reçoit la complémentarité de l’homme et de la femme et qui dans la sagesse divine, par le cycle féminin, permet aussi aux époux de consolider leur amour quand surviennent des raisons de différer les naissances pour un temps ou définitivement. Reste que quelque soient les circonstances, ce oui intelligent reste un oui fondamental associé à chaque union conjugale. Ce oui échappe à l’autonomie de la conscience et touche le cœur. La chasteté c’est vivre selon l’ordre du cœur, disait Jean-Paul II. Or vivre selon l’ordre du cœur a aussi un prix. Un prix immatériel mais réel de gratuité et de don. La chasteté est lumineuse mais exigeante quelque soit l’état de vie.
Saurons-nous dire généreusement oui ?
Gabrielle Vialla
– À paraître le 21 octobre prochain : La chasteté, Un don qui rend sa beauté à la sexualité, éd. Artège
– Sur les apports anthropologiques de la régulation naturelle des naissances et du cycle féminin, lire Recevoir le Féminin
– Pour la transmission dans les familles et auprès des jeunes, on peut lire Bien Vivre le Cycle Féminin
Jean-Paul II et l’amour personnel
Pour beaucoup, Jean-Paul II est le pape de la jeunesse, de l’engagement personnel dans le mariage ou le sacerdoce, le pape de l’apostolat en faveur de la famille, le formateur de la conscience morale, qui nous appelle encore au service de la vie, des plus fragiles. Cette même année 2020 voit ainsi les 100 ans de la naissance de JPII et les 25 ans de son encyclique Evangelium Vitæ. Pour beaucoup, Jean-Paul II est ce Fils de Marie qu’on ne peut oublier lorsqu’on pérégrine. Tant de plaques commémoratives rappellent le passage du grand voyageur… Enfin pour certains Jean-Paul II est bien sûr le pape de la « théologie du corps ».
Benoît XVI rappelle la centralité de la Miséricorde dans la spiritualité de Jean-Paul II. La Miséricorde est le fruit de l’amour personnel du Christ pour chacune de nos âmes jusqu’à la mort sur la Croix. Amour personnel qui coule du côté ouvert et qui nous appelle à la réciprocité pour devenir un amour interpersonnel.
À l’image du Maître, Jean-Paul II voulait demeurer auprès de ses amis. Il désirait vivre, marcher auprès de ceux qui lui étaient confiés. La psychologie et l’affectivité humaines ont besoin de moments privilégiés pour comprendre la véracité de l’amour interpersonnel. Notre-Seigneur ne les a pas refusés à Marthe et Marie. Jean-Paul II les a accordés généreusement à ceux qui le prirent comme « oncle ». Les photos de cette complicité accordée à certains témoignent de la joie partagée, d’amitiés authentiquement spirituelles parce que parfaitement humaines. La sainteté est bien l’actualisation de la beauté de l’Incarnation. Celle-ci n’est possible qu’avec la proximité et le don de soi par le corps. Il s’agit d’une façon ou d’une autre de « mouiller la chemise »… Le coronavirus va-t-il changer cela ? Non, il nous rappellera seulement par ses conséquences humaines, économiques et spirituelles les déficits de notre clairvoyance et de notre charité, qui prend sa source dans l’Eucharistie.
Il aura aussi été heureusement l’occasion de généreux dons de soi cachés et de fidélité à l’Évangile par un petit reste. Il a rappelé cruellement aux âmes ardentes que le monde ment lorsqu’il prétend aimer avec l’égalitarisme. Le favoritisme de l’Évangile – rappelé par la Parole de Dieu de ces derniers jours – c’est le rappel que le serviteur n’est pas plus grand que le Maître, et que si le Christ est persécuté, ses amis le sont aussi. Cette persécution, Jean-Paul II l’a vécue de diverses façons. Post mortem, encore, on désire associer à cette figure lumineuse les scandales non toujours élucidés qui ont eu lieu pendant son long pontificat. À l’école de Jean-Paul II, choisissons la cohérence et la beauté, combattons l’inversion généralisée, la manipulation des intelligences et des consciences. Percevons davantage le don que Dieu nous a fait à travers Karol Wojtyla à une époque si confuse sur le corps, la sexualité, la relation. Époque qui, ayant perdu le sens de Dieu, perd le sens du corps, de sa signification. Sachons reconnaître les antipoisons que l’Esprit Saint suscite toujours dans son Église. Jean-Paul II est bien un signe que le Christ n’abandonne jamais son Église.
Saint Jean Paul II, le grand ?, s’interroge notre bien-aimé Benoit XVI dans une nouvelle admirable lettre. En attendant que la postérité inscrive ce titre auprès de saint Grégoire, pour moi Jean Paul II est définitivement avant même le saint et le professeur – j’ose – … l’ami, le confident, le proche ! Puisse-t-il être aussi le vôtre ! Joyeux anniversaire JPII !
Gabrielle Vialla
Tout abus sexuel dans l’Église commence par un abus spirituel, un abus d’autorité
Fidèles laïcs, prenons la mesure de notre sacerdoce commun.
Nous ne sommes pas des chrétiens de seconde catégorie, infantilisés et sans intelligence. Nous avons une responsabilité face à tout abus d’autorité cléricale. Si nous savons dénoncer les propos abusifs de monsieur Castaner, avec bien plus de respect, notre devoir, même difficile, est aussi de réagir à tout abus épiscopal ou clérical objectif. Si nous nous habituons à ne rien dire, nous laissons perdurer les mêmes réflexes de corps qui privilégient le silence, la culpabilisation des consciences et enfin le rejet de la compassion. Ce réflexe qui protège le fort face au faible, offense le Christ… Nous pouvons toujours pleurer, prier face au scandale, il convient aussi de devenir clairvoyants.
Les silences face à des abus sexuels, à des abus spirituels et peut-être bientôt face à une privatisation abusive de l’Eucharistie par certains clercs, pourraient bien être les fruits de nature différente d’une même crise spirituelle ?
Je vous conseille un très beau livre, Risques et dérives de la vie religieuse, par Dom Dysmas de Lassus, prieur de Chartreuse. Vous y découvrirez comme moi que la vie spirituelle n’est pas le renoncement à l’intelligence. Vous y trouverez ce que sont l’obéissance, l’autorité, la paternité spirituelle, non forcément comme vous l’avez toujours entendu, mais comme l’Évangile l’entend ! À l’exemple du pape saint Boniface (fête du jour) qui vécut peste et autres calamités, sachons puiser dans la vie monastique la sagesse, les éléments curatifs et préventifs dont nous avons tant besoin.
Gabrielle Vialla
Le Bon Pasteur et l’Eucharistie
L’Eucharistie n’est pas un dû. Voilà peut-être la phrase la plus lue, la plus entendue depuis le début du confinement. Peut-être un élément de langage ? Oui, l’Eucharistie est un don; « ma vie nul ne la prend mais c’est moi qui la donne » (Jean 10, 18).
L’Eucharistie n’est pas un dû, certes, mais qu’est-ce que l’Eucharistie ? Le lexique le plus évident de la parole de Dieu, jusque dans le Notre-Père, c’est que l’Eucharistie est notre nourriture, notre nourriture quotidienne. Alors, après tant de jours, je m’interroge sur le peu d’inflexion pastorale pour nourrir sacramentellement les confinés. Dispense de la distribution de l’Eucharistie pourtant traditionnelle, en faveur de l’accouchée ou du malade. J’ai été souvent malade et accouchée, alors l’incongruité de la situation m’apparaît. Car on m’a toujours nourrie lorsque je l’ai demandé !
C’est le dimanche du Bon Pasteur, dimanche de prière intense pour les prêtres et les vocations. Un Bon berger laisse-t-il longtemps ses brebis sans nourriture ? Parce qu’elles auraient la consolation d’entendre sa voix (la Parole de Dieu), parce qu’elles pourraient vivre de la charité en se servant les unes les autres ?
La demande de notre nourriture quotidienne, le pain de Vie que nous avons médité dans les évangiles cette semaine, le Bon Pasteur… Jésus utilise des images si simples qu’elles en deviennent terriblement exigeantes. Alors, mère de famille, je me demande pourquoi ? Pourquoi ce silence ? Oui les pasteurs nous parlent beaucoup. Ils ont demandé à l’État. Ils ont été tristes, en colère, désemparés, et pourtant il y a encore un silence.
Nourrir les brebis, est ce vraiment impossible ? Injustifié ?
L’explication la plus simple est peut-être la meilleure. S’il fallait dans les circonstances actuelles nourrir le peuple de Dieu, il faudrait redécouvrir le lien entre la confession et l’eucharistie. De nombreux appels à la conversion ont été mis en exergue, et celle-ci la souhaitons-nous aussi ?
Redécouvrir le lien entre la confession et l’eucharistie, cela signifierait aussi baptiser ceux qui attendent, marier ceux qui le demandent malgré les restrictions, mais aussi éclairer certains davantage sur la vie sexuelle, la situation matrimoniale… Cela signifierait redécouvrir l’Évangile et le lien prêtre-Christ comme un enfant : Jésus va à Cana, il guérit les malades, il rencontre ses contradicteurs en personne, il ne fuit pas les lépreux, il demande à la Samaritaine où est son mari, il est emmené en prison, devant les tribunaux… Cela signifierait enfin distinguer pour un temps particulier, la fête sociale qu’on appelle célébration, cérémonie, de la réalité du don personnel du Christ pour nous, qu’on appelle sacrement. Un autre jeûne finalement, celui de la fête ?
On a dit de saint Jacques le Mineur qu’il ressemblait à Jésus et que ceux qui avaient vu Jésus aimaient à le regarder, car ils retrouvaient en lui les traits du Maître. Saint Philippe et saint Jacques, saints apôtres du Seigneur, donnez-nous de saints pasteurs et de saints prêtres, pour nous rappeler qu’Il est réellement là, le Bon Pasteur !
Gabrielle Vialla